Lors de cette journée de rencontre du 13 octobre 2011, nous vous avons proposé de réfléchir ensemble à la place du jeu en bibliothèque.
Une première intervention de Sophie Jacob nous invite à envisager les relations possibles entre jeu et bibliothèque.
Responsable d’un centre de formation aux métiers du jeu et du jouet, Sophie Jacob est psychologue spécialisée dans le développement cognitif des enfants, adolescent et adultes.
« On peut donc en bref, définir le jeu comme une action libre, située en dehors de la vie courante capable d’absorber totalement le joueur, une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité qui s’accomplit dans un temps et dans un espace expressément circonscrit ». « Homo ludens » de Johan Huizinga
Le jeu, source de plaisir, spontanée répond à des besoins indispensables à l’épanouissement de l’individu (moteur, défoulement, isolement, intellectuel, se découvrir, être avec les autres, découvrir ses compétences, envie de gagner, …), du stade sensori-moteur au stade opératoire en passant par le stade représentatif ou symbolique.
Après ces définitions, elle partage avec nous ses travaux de recherche sur la mise en place de ludothèques ou d’espaces – jeu en bibliothèque, l’idée étant d’intégrer sur les mêmes présentoirs livres et jeux. Le livre, ainsi présentés avec les jeux/jouets des enfants devient support de jeu
Développer le jeu en bibliothèque présente comme intérêt de lutter contre « les images vieillottes » des bibliothèques, les usages stéréotypés de la lecture (tais-toi, attends la fin de l’histoire, tiens toi bien pour regarder un livre), de permettre aux publics des jeunes parents et des ados de s’approprier, se réapproprier le plaisir gratuit du jeu ou de la lecture, de faire venir de nouveaux publics, de permettre à l’enfant de découvrir le jeu dans un espace de liberté, de partager l’idée que le jeu est une activité libre, gratuite, incertaine, improductive, voire fictive mais qui concourt à l’apprentissage du monde et est une activité fondamentale dans le développement moteur, cognitif, social, affectif et émotionnel de l’individu , de renforcer son rôle de lien social et de convivialité intergénérationnelle.
Développer le jeu en bibliothèque peut s’organiser de différentes façons : en créant des espaces de jeux dédiés, en proposant des séquences de jeu pour tous publics, en organisant le prêt de jeux au même titre que celui des livres.
Le choix des jeux proposés doit faire l’objet du même soin que le choix de livres pour les plus petits, sur l’aspect matériel (taille, poids) et surtout sur le contenu (entre reconnaissance et découverte). L’enjeu principal est bien celui de la médiation du jeu comme du livre.
La seconde intervention, d’Oscar Barda, responsable de l’espace jeu vidéo de la Gaieté Lyrique porte sur la question du jeu vidéo et de sa place dans le développement de l’individu et dans un lieu culturel.
Oscar Barda nous cite d’emblée Roger Caillois : « le sport fait immédiatement compétition alors que le jeu reste une activité libre, sans rendement social. »
Le jeu et le jeu vidéo cherchent une reconnaissance culturelle et un accès à la considération. L’intérêt du jeu vidéo réside dans le fait qu’il peut redonner envie de jouer à ceux qui ont laissé le jeu de côté. Dans certains cas, il est même un objet culturel important bien que non reconnu comme tel la plupart du temps.
Le jeu vidéo, conçu a priori pour des publics jeunes, a en commun avec les mangas et les bandes dessinées d’être parfois brutal symboliquement mais aussi objet artistique. La question du choix est encore une fois au centre des préoccupations : plus de100 000 jeux de consoles, plus de 14 millions de jeux PC sont aujourd’hui sur le marché.
Dans les années 1980, se sont théorisés trois profils de joueurs : Johnny (cherche l’aventure dans le jeu, expérience renouvelable forte), Timmy (cherche la création, a une personnalité et une imagination qu’il veut exprimer, jeu où il peut faire des choses, des choix pour les partager, expression de l’individualité à travers l’échange) et Spike (cherche la codification d’un rapport avec l’autre de dominance, jeu de compétition avec score, timer, l’affrontement et la comparaison). La question devient alors de trouver quelle place pour chacun et comment faire cohabiter ces différents types de joueurs dans un espace partagé.
Oscar Barda dénonce ensuite les 3 grands lieux communs liés à la pratique du jeu vidéo :
L’addiction est une dépendance à une substance ingérée par le corps qui provoque des comportements compulsifs. Le jeu vidéo n’est pas absorbé par le corps, il ne peut donc être question d’addiction
La dépendance au jeu vidéo peut devenir substitut à toute vie sociale. Il doit trouver d’autant plus sa place en bibliothèque puisqu’on n’y est jamais seul
La question de la violence nécessite d’établir une distinction entre violence mécanique et violence symbolique. En quoi le jeu vidéo est-il différent des images véhiculées par les médias
Les jeux ne rendent pas addicts mais permettent de fuir toute vie sociale, ne rendent pas violents mais peuvent porter des messages violents : en cas de passage à l’acte la responsabilité n’incombe pas au jeu mais plutôt à la personnalité du joueur.
Quel que soit le type de jeu, Oscar Barda défend l’expérience du jeu – aussi courte soit-elle – comme un enrichissement incomparable pour les individus.
Après ces deux interventions, nous, bibliothécaires, nous interrogeons : quels services pour quels publics, quels moyens mettre en œuvre, avec quels partenaires ? Il peut être rassurant d’envisager de proposer des jeux pour les tout-petits, en appui sur les partenaires habituels. Pourtant, grâce au jeu, il est possible « d’élargir le cercle des initiés »… Et si, pour une fois, nous tentions l’expérience de tenter de conquérir les 15-35 ans…