Des festivals, y’en a plein, et dans l’Allier, il y en a un nouveau, c’est à Moulins. C’est le festival des illustrateurs, qui vous a été présenté dans un précédent article.
Il s’est déroulé du 29 septembre au 2 octobre « sous le soleil exactement ». Deux journées étaient dédiées aux professionnels : la 1ère pour les enseignants et le public scolaire ; la 2ème avec les professionnels du livre : tables rondes avec les illustrateurs invités et un chromatologue (spécialiste de l’étude des couleurs).
Le matin a commencé par une table ronde sur le thème de la couleur avec Natali Fortier, Georges Lemoine, Henri Galeron et Frédéric Clément.
Chacun a exprimé son approche de l’utilisation de la couleur dans les différentes étapes de création de son travail d’illustrateur. Des approches très différenciées dans la mesure où elles sont liées à l’univers particulier de chacun de ces créateurs.
Henri Galeron utilise la couleur de manière intuitive. Si le trait est pour lui primordial, la couleur envahit progressivement son dessin. Ce dernier, au rendu volontairement réaliste, vient en contre point renforcer le côté décalé et surréaliste de son oeuvre. Il trouve son plaisir le plus grand dans la recherche des idées en fonction du texte à illustrer, à partir desquelles surgira le choix du dessin. L’artiste passe par l’étape du dessin réalisé en « chemin de fer » au format timbre poste, ultérieurement agrandi.
George Lemoine voit la couleur comme une mise en lumière du dessin. Il ne théorise pas sur la couleur, évoque l’importance de l’émotion comme déclencheur de l’inspiration. Il joue beaucoup sur les contrastes entre ombre et lumière, et la transparence est un élément fondamental dans son oeuvre. S’il s’est longtemps situé dans le temps long du travail à l’aquarelle, il se tourne actuellement vers le dessin au crayon de couleur.
Pour Georges Lemoine comme pour Henri Galeron, c’est le texte qui définit la technique employée et l’utilisation de la gamme colorée.
Natali Fortier, qui a auparavant beaucoup travaillé pour les journaux, se sert d’une large palette de couleurs. Elle fait son dessin directement, traits et couleurs en même temps. Pour elle, trait et couleur ne se distinguent pas. Son dessin est mouvement, avec parfois des tremblés volontaires.
Natali Fortier à la librairie Jean-Luc Devaux, lieu de son exposition, d’albums, masques et sculptures, tel ce Pinocchio.
La librairie, spécialisée dans le livre ancien, est située dans un très bel hôtel particulier, Le Doyenné, dont l’arrière abrite une cour permettant d’admirer le style gothique de l’hôtel et ses sculptures et gargouilles.
Frédéric Clément fabrique lui-même ses propres couleurs. Il déclare : « Le trait, c’est ma bête noire. Le trait n’est pas sensuel, le plaisir vient après. » Cet illustrateur, également auteur de ses textes, plasticien et romancier, privilégie certains papiers matière qui contribuent au charme de ses illustrations, même si ce choix se fait au détriment du rendu des couleurs.
La matinée s’est terminée par un exposé de Michel Indergand, distingué chromatologue, qui a su intéresser et divertir son auditoire sur un sujet qui aurait pu sembler ardu au départ : l’étude des couleurs. Il a présenté les travaux de plusieurs théoriciens en mettant tout particulièrement l’accent sur Alphonse Allais, auteur bien connu mais méconnu dans ce domaine. Fût ainsi évoquée la 1ère exposition des Arts incohérents en 1883 dans laquelle étaient présentés au public des monochromes légendés à la manière du « non sense ».
L’après midi a débuté par une rencontre avec Les Chats pelés alias Lionel Le Néouanic et Christian Olivier, chanteur du groupe des Têtes raides.
Les Chats pelés, quatre à l’origine, se sont rencontrés sur les bancs de l’école Estienne. Nos deux compères ont conçu leur 1er livre en 1992 et continuent depuis à dessiner, créer tout azimut. C’est une aventure qu’ils partagent, « un vaste terrain de jeu » dans lequel mots, musiques, images forment un ensemble qui balance entre gravité et humour grinçant. Les Chats pelés se disent avant tout guidés par les images. Pour eux, la liberté de ton va avec la liberté de forme.
L’après midi s’est poursuivi par une rencontre avec Kitty Crowther, Loren Capelli et Benoît Jacques sur la thématique du trait dans l’illustration.
Chacun de ces artistes appréhende le trait dans le dessin à sa manière, et pour tous les trois constitue un élément fort de l’illustration.
Pour Kitty Crowther, le trait passe par l’énergie : « Le trait est circulation de lumière ». Chez Loren Capelli, le trait est une ligne très simple, épurée. Quant à Benoît Jacques, qui évoque « le jardin du trait », il se dit passionné par le trait qui » l’accompagne partout, tout le temps ».
Après cette rencontre avec les artistes, nous avons pu visiter leurs expositions.
Celle dédiée à Kitty Crowther occupe tout le 1er étage du Centre de l’illustration. Une exposition très complète donc, qui donne à voir le travail en images et en mots d’une artiste sensible à la nature et aux émotions. Vous pouvez la découvrir jusqu’au 22 janvier 2012. A ne pas manquer !
Le Centre de l’illustration est à visiter pour lui-même. Hébergé dans le magnifique Hôtel de Mora depuis 2005, il est depuis 2011 dédié à l’illustration des livres de jeunesse. Expositions, animations et rencontres d’illustrateurs y sont proposées. Le Centre a également vocation à conserver les oeuvres originales des illustrateurs et à les promouvoir.
Au salon d’honneur du Conseil général de l’Allier, on s’immergeait dans l’univers de bric et de broc des Chats pelés, proche de l’art brut. Cette exposition, intitulée « Les gens » les décline sous toutes les coutures avec humour et poésie grâce à un usage très personnel de toutes sortes de matériaux de récupération. Cette exposition sera évolutive et itinérante, et donnera lieu à un livre et certainement à un film d’animation. A suivre…
Les six autres illustrateurs avaient investi le centre ville dans différents lieux : la cathédrale pour George Lemoine, le musée Anne – de – Baujeu pour Frédéric Clément, la galerie des Bourbons pour Loren Capelli, la librairie Jean-Luc Devaux pour Nathali Fortier et les Imprimeries réunies pour Benoît Jacques. Autant de lieux et d’expositions passionnants à découvrir et à explorer.
Et puis, le soir, rendez-vous au Théâtre pour un concert des Têtes raides dont le chanteur, Christian Olivier, n’est autre que l’un des deux Chats pelés. Une énergie et une présence sur scène époustouflantes de musiciens que l’on ne présente plus. Décoiffant !
Le lendemain, l’on avait toute latitude de visiter le Centre de l’illustration, de rencontrer les illustrateurs présents dans des Conversations ouvertes à tous, et de faire un tour à la librairie temporaire du festival (librairies Papageno et Moulins aux lettres) où les illustrateurs dédicaçaient leurs livres. L’après-midi s’est tenue la remise du Grand prix de l’illustration. Ce prix, attribué pour la 1ère fois à un ouvrage documentaire, fut décerné à Zau pour son très beau livre réalisé avec Alain Serres « Mandela l’africain multicolore » paru chez Rue du monde.
Ce festival, qui était une première, constitue une véritable réussite. Il est le fruit du travail acharné des passionnés de l’association les Malcoiffés, présidée par Nicole Maymat, en partenariat avec le Centre de l’illustration et le soutien sans faille des partenaires institutionnels et privés.
Passionnant – Professionnel – Convivial, ce festival n’a rien à envier aux plus médiatisés. Nous attendons avec impatience la deuxième édition, qui devrait se tenir en 2013.
Vous pouvez retrouver le journal du festival
Mathilde Lafon
Dominique Laganne
Quelle journée riche en rencontres et découvertes quand on lit ton article Dominique, quelle chance d’y avoir participé . J’ai découvert cette journée trop tard, dommage, mais merci pour ce compte-rendu!
Oui, merci Dominique de nous faire partager tout cela ! J’ai déjà eu l’occasion d’apprécier la qualité des expositions au Centre de l’Illustration de Moulins(« Ah ! la lettre… » en février 2009)mais je n’ai pas eu connaissance du festival… Dommage pour moi aussi.
Amicalement,