Cela fait bien longtemps que les souris ont envahi la littérature et que les rats squattent les bibliothèques. Il suffit de se rappeler La Fontaine ou, plus proche, Kenneth Grahame et son classique (surtout en Angleterre) de la littérature enfantine « Le vent dans les saules » (Wind in the willows). Ouvrage décliné en BD (sublime série de Michel Plessix qui après avoir adapté l’original lui invente actuellement une suite : « Du vent dans les sables »), animation (pour la télé), dessins animés et tout une kyrielle de groupes rock au nom en forme d’hommage.
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Ces petits rongeurs pullulent également dans les albums pour la jeunesse (« La Famille Souris » de Kazuo Iwamura à l’Ecole des loisirs, parmi tant d’autres), dans les romans (principalement pour la jeunesse mais pas que), les dessins animés (brefs cartoons ou longs métrages), bandes dessinées (« Maus » d’Art Spiegelman, bien sûr.
Tout un monde de bestioles grouillantes pour un « sous » genre de la littérature : la fantasy animalière. Des animaux pensants et parlants à l’aspect plus ou moins anthropomorphe et s’activant dans des prairies (« Les garennes de Watership Down » par Richard G. Adams), dans nos jardins (« Le bois Duncton » par William Horwood), nos maisons (le récent chef-d’œuvre « Firmin. Autobiographie d’un grignoteur de livres » par Tom Savage). Parfois ils côtoient les hommes, aujourd’hui (« Fantastique Maître Renard » par Roald Dahl) ou hier (le précurseur « Le Roman de Renart » ou « Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède » par Selma Lagerlöf). D’autres fois ils remplacent les humains dans des mondes qui sont le reflet du nôtre ou encore vivent dans des mondes aussi fictifs que leurs improbables existences.
Mais revenons à nos souris.
Une nouvelle invasion venue du fond des âges, d’époques de bric et de broc, de taille et d’estoc, de bure et d’armures nous arrive ces dernières années : La souris médiévale.
Pour être précis cela avait commencé par une avant-garde solitaire et célébrissime : Mickey.
Par un dessin animé d’abord : « L’apprenti sorcier » (dans le somptueux film à sketches « Fantasia ») puis de façon plus anecdotique par une bande dessinée « Mickey à travers les siècles » (1952 à 1978) qui avait la particularité d’avoir été scénarisée par un français, Pierre Fallot et dessinée par deux autresfrançais : Santel puis surtout Pierre Nicolas (fait rarissime pour l’exigeante et protectionniste Walt Disney Company). Etrange concept humoristico-didactique faisant intervenir une souris, Mickey, dans un contexte historique particulier et exclusivement humain.
Les vrais débuts de cette invasion datent de 1986 avec un cycle romanesque pour la jeunesse :
Rougemuraille de Brian Jacques (Mango, 1989….)
Autrefois le vaillant chevalier Martin, dit le Guerrier, aidé de ses compagnons, libéra sa contrée, la forêt de Mousseray, d’une terrible menace : Tsarmina, la chatte sauvage. Ce qui ne fut pas un mince exploit puisque notre héros est une souris. A l’endroit de cette bataille, Martin fit bâtir une abbaye : Rougemuraille. Havre de paix, ce lieu est fréquemment menacé par des brigands, malfaisants et autres envieux. Martin a depuis longtemps disparu. Mais l’esprit des morts veille…
Destiné en priorité aux jeunes, voici une longue et savoureuse épopée dont les protagonistes sont tout un petit peuple de souris, musaraignes, rats, loutres, fouines, blaireaux, renards, taupes… Enfin toute la faune de nos campagnes. L’époque indéfinie est un Moyen-âge réinventé. Une des particularités de toute cette faune anthropomorphe est d’avoir été ramenée par l’auteur à une proportion commune; les différentes espèces sont donc toutes de taille similaire. Les héros en sont aussi bien des guerriers que des moines (nous sommes dans une abbaye) ou de simples laïcs.
L’auteur, Brian Jacques, né en 1939 à Liverpool avait quitté l’école à quinze ans pour une vie de marin. Après divers petits boulots il rédige son premier livre, Redwall (Rougemuraille en français) sur le tard. Le succès, lui, ne tarde pas, que se soit en Grande-Bretagne ou dans le reste du monde.
17 titres vont suivre, chacun divisés en plusieurs tomes (3 ou 4) : Cluny le fléau ; Martin le guerrier ; Mattiméo ; Mariel ; Solaris ; Salamandastron ; Les perles de Loubia ; Les Ombrenards ; etc.
Une première édition en France chez Mango en 1989 ne connaîtra qu’un succès mitigé. Une nouvelle édition rassemblant les tomes en forts volumes est en cours. Les évocatrices et hyperréalistes couvertures sont dues à Philippe Munch.
Un studio britannique s’est chargé de l’adaptation en dessin animé (39 épisodes de 25 mn)
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En janvier 2008 une merveille de BD débarque en France :
Légendes de la Garde : Automne 1152 de David Petersen (Gallimard, 2008)
Nous sommes en automne 1152. Mais cela n’a que peu d’importance, car si la date nous renvoie vers une époque moyenâgeuse, il ne s’agit pas du monde des humains.
Nous sommes sur la terre des souris. Dans cette civilisation féodale, la Garde est chargée de la protection des voyageurs et de la sécurité du territoire. Saxon, Kenzie et Lieam, trois « soldats » de cette troupe d’élite enquêtent sur la disparition d’un marchand et découvrent un complot menaçant le royaume.
Nous sommes dans les « Légendes de la Garde » (Mouse Guard) de David Petersen. Publié initialement en fascicules aux USA (comme la plupart des comics), Gallimard a compilé ces derniers dans un bel ouvrage de 160 pages, d’un attrayant format carré aux titres de chapitres mystérieux ou évocateurs : Le ventre de la bête ; Au cœur des ténèbres ; La Hache se lève ; Le spectre de l’ombre ; L’aube de Minuit… De quoi être déjà transporté !
Cette série avait connu lors de sa parution en 2007, un succès considérable aux Etats-Unis (25000 exemplaires vendus les 15 premiers jours) fait rarissime pour un comics issu d’un petit label indépendant (Archaia Studios Press)
David Petersen n’est sans doute pas un conteur exceptionnel, ni un illustrateur virtuose et pourtant dans l’athanor de ses planches l’alchimie fonctionne. Peu de cases par page, beaucoup de gros plans, des vues en contre-plongée ou en plongée. On est instantanément immergé dans l’action, écrasé par le gigantisme de la nature (puisque vécu à l’échelle d’une souris). Le trait de Peterson est celui d’un graveur, acéré, tramé et sombre. Son talent de coloriste s’apparente à celui d’un maître verrier : des ténèbres mauves, des forêts mordorées, des averses comme des incendies…
Et avec ça des combats titanesques : avec des serpents à grands comme des dragons, des crabes aux pinces démesurées, des nuées d’abeilles gigantesques.
Mais foin de vains discours. Rendez-vous sur son site… d’un clic de souris
Une suite était en cours de publication aux USA : « Winter 1152 » avec toujours des complots, des chauves-souris maléfiques, des ossuaires « catacombesques » et devait s’achever en été 2009. Ce doit être chose faite puisque Gallimard nous annonce (enfin) la publication en octobre 2010 de «Hiver 1152 ».
2009 ultime arrivage ? Ou chef-d’oeuvre ultime ?
Le dernier des Templiers : vol. 1 : La prophétie de Bryan J.L. Glass et Michael Avon Oeming (Milady, 2009)
« Les Templiers : gardiens de la justice, liés par serment à chaque habitant des terres obscures, jurant de protéger quiconque, petit ou grand, des fléaux qui s’abattraient sur le Temps des Ténèbres… Sur plus de dix mille saisons, et à toutes les phases du Cycle du Grand Oeil de Wotan, les Templiers se défendirent dignement face à leurs ennemis, en fraternité soudée, fidèles à Honneur et à leur code… » Depuis les Templiers ont disparu. Mais appartiennent ils à l’histoire ou à la légende ? Pour Karic, un souriceau, la question ne se pose pas. Ces légendaires Chevaliers ont bel et bien existé et lui-même ne rêve que de devenir un Templier. Suite à l’attaque de son village par des rats, il se met en route, accompagné par Pilote, un vieux guerrier. L’Aventure commence.
Rien de moins que l’équivalent du « Seigneur des anneaux » en bande dessinée… Mais avec des souris comme héros. Une quête initiatique, des personnages complexes, un élu, des guerriers mystérieux, des dieux redoutables, des combats titanesques, des intrigues … Tous les ingrédients sont réunis pour que « Le dernier des templiers » (Mice Templar) devienne une BD culte.
Le dessinateur Michael Oeming avait imaginé cette histoire en 1998 mais il aura fallu la rencontre avec le scénariste Bryan J.L. Glass en 2003 pour approfondir son univers et encore cinq ans pour finaliser le livre et rendre homogène cet incroyable melting-pot d’influences et de références.
Michael Avon Oeming, par ailleurs dessinateur de « Powers » a totalement chamboulé son style pour adopter un graphisme proche de celui de Mike Mignola (Hellboy). Ici son trait anguleux et dynamique est accompagné d’un superbe travail sur les ombres qui confine presque à l’abstraction, travail rehaussé par l’emploi de couleurs sombres ou violentes qui installent une atmosphère inquiétante.
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De plus le travail d’édition fait par Milady (la branche BD des éditions Bragelonne) est remarquable : préface, postface, présentation des auteurs… ainsi que la cosmogonie, l’histoire et la mythologie (entre dieux nordiques et légendes celtiques) et contribue à rendre familier et cohérent ce fascinant monde de souris. (Ce qui n’empêche pas les erreurs, Bryan Glass étant orthographié Brian sur la couverture)
Pour finir, si vous n’êtes pas très regardant sur la «variété» du rongeur, une autre saga (en 3 tomes) appartenant à la fantasy animalière met en scène des écureuils : « Le royaume d’Outrebrume » de Margaret McAllister, dans la collection Folio de Gallimard. Une formidable épopée d’un héros en devenir : Oursin des Etoiles.
Tes articles, Jean-François, sont pour moi comme l’heure du conte à la bibliothèque ; on croit aux ogres, aux sorcières et on te suit sur des chemins livresques, musicaux ou cinématographiques qu’on aurait pas osé emprunter tout(e) seul(e) ; alors la « souris de bibliothèque te remercie et continue (ya de quoi faire) la Fantasy animalière….
Tiens, ça me rappelle… C’est avec un rat vert que j’ai appris à lire : il s’appelait Ratus.
Superbe article très complet sur ces pauvres petites bébêtes que M.J préfèrent écraser…. 🙁
Merci beaucoup J-F , c’est toujours une vraie découverte quand on lit tes articles.
Je rajouterai « La légende de Despereaux », film d’animation dont le héros est un souriceau aux grandes oreilles et un preux chevalier. Ce film est tiré du roman de Kate DiCamillo.
http://www.dailymotion.com/video/x7rb64_la-legende-de-despereaux-bandeannon_shortfilms
Je viens de finir « Firmin, autobiographie d’un grignoteur de livres ». Ce fut un moment de lecture savoureux et succulent. Je pense même ne plus voir ces petites bêtes avec le même œil. Penser que peut-être, au dessus de nos têtes vit un rat féru de littérature et qu’il descend subrepticement la nuit pour « dévorer » les romans !
http://bibliotheque3provinces.blogspot.com/