« Les mondes perdus » – Des textes à découvrir


canopeeDu 18 novembre 2011 au 14 janvier 2012, la médiathèque de Bourges organisait un concours de nouvelles ouvert à tous. Le 31 mars, étaient dévoilés les lauréats qui ont accepté que leur texte soit publié ici. Merci à eux de nous permettre de les découvrir !

Voici le 1er prix dans la catégorie  des 13-17 ans :

La prairie de la Mort
Marie-Corentine THIAULT

Les grands explorateurs de l’époque semblaient concentrés sur les seuls océans. N’y avait-il que cette étendue bleue intéressante à leurs yeux ? Leur avidité de découvrir de nouvelles terres ne passait que par leur désir de naviguer. Nul n’utilisait le simple moyen de la marche, le seul à confier cette sensation berçante de voyager réellement, voir les paysages se succéder, les senteurs varier et se mélanger, sentir la fatigue gagner son corps à chaque pas supplémentaire… Et surtout, nulle exploration n’aurait pu être plus risquée que de partir en plein automne, sans garantie d’être rentré pour l’hiver, pour des montagnes perdues.

James Tyron avait depuis longtemps le projet de parcourir le Honduras et de gravir ses montagnes boisées. Pour accomplir ce but, ce fut la première fois de sa vie qu’il voyagea en bateau. Lui qui haïssait tant les navires pour voler la beauté de la découverte naturelle, debout sur ses deux pieds.

Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, Tyron décida de mener sa propre expédition vers ces montagnes. Durant son trajet jusqu’en Amérique, il rencontra un marin, Peter Rangler, qui rêvait de quitter sa pauvre vie et de découvrir le monde, quelqu’en soit le prix. Ce dernier paraissait peu robuste par sa petite taille, mais l’était bien plus qu’il n’y semblait. Lui aussi originaire d’Angleterre possédait ce petit air de là-bas qui faisait qu’on ne les confondait pas avec les marins français qui avaient, tant bien que mal, tenté de les éviter durant la traversée.

Renfermé dans sa cabine, Tyron avait régulièrement convoqué Rangler pour effectuer les derniers préparatifs de leur voyage. Et enfin, avant même qu’ils ne touchent le sol américain, ils étaient fin prêts. Le voyage, avant de pouvoir contempler la montagne, fut bien peu long, mais laissait grandir l’impatience en ces deux hommes, avides de découverte. Et enfin, ils purent l’admirer.

Pas forcément très élevée, ses pentes étaient abruptes, ses cols escarpés et son allure menaçante. Mais le plus attirant pour eux, c’étaient ces hauts arbres, touffus, humides et verdoyants qui se perdaient dans l’étendue brumeuse qui planait au-dessus de leur tête. La simple vue de cette immense forêt de relief rendait claustrophobe. L’humidité les écrasait, mais la cime invisible des arbres semblait les appeler de derrière les nuages bas. Cette condensation volait tel un mystère au-dessus de ces soldats aux troncs forts, larges, massifs et puissants. « Quel secret peut bien renfermer tant de verdure ? » murmura Rangler.

Tyron se posait intérieurement la même question. Ils étaient les premiers à s’intéresser aux mystères de ces monts. Mais peut-être auraient-ils mieux fait de ne jamais rentrer dans cette forêt. Peut-être auraient-ils mieux fait de ne jamais s’y aventurer. Mais ils le firent, toute pensée de danger bien loin d’eux. Ils guettaient un signe de vie, un bruit. Nulle population n’avait été relevée dans les parages, de toute évidence, mais le but des découvertes n’était-il pas d’en faire ?

Tyron espérait pouvoir apprendre de grandes choses à travers ces bois et pouvoir un jour rentrer chez lui, en Angleterre, comme détenteur d’un secret que nul n’oserait imaginer. Il désirait rendre ses explorations les plus importantes de tout un siècle. Rangler ne pensait qu’à vagabonder vers de nouveaux lieux.

Aucun oiseau ne se faisait entendre, pas le moindre rongeur, ni même la moindre créature. Aucun insecte ne formait de nuage sous ses yeux, aucun ne s’attaquait à sa chair et à son sang, aucun ne tentait de filtrer sa chaleur, et aucun ne se faufilait, pas même sous ses pieds, sous le fin tapis de feuilles tombées des arbres. Seuls leurs bruits de pas, simples frottements dans les feuilles du sol et glissements contre l’herbe humide.

Les arbres étaient serrés et leur marche rendue difficile par leur proximité. Ils étaient cependant si hauts que nulle petite branche ne parvenait à leur hauteur. Ils semblaient loin de tout, abandonnés au milieu d’une forêt dont ils ne connaîtraient le bout qu’en l’ayant entièrement traversée.

La nuit tomba bien plus vite sous ce plafond de verdure, et ils ne purent continuer leur ascension sans lumière, et il se trouve qu’à cause des arbres, aucun rayon de soleil ne parvenait à eux. Ils réussirent à dénicher un coin où les racines des arbres leur permettaient de poser deux sacs de couchage et passèrent leur nuit étendus côte à côte, dans l’attente du matin pour percer les mystères de la forêt. La première nuit s’acheva sans le moindre incident et la première journée entièrement dédiée à la marche à travers les arbres de même.

Tyron et Rangler parlaient peu, l’esprit du premier toujours perdu dans d’ambitieuses pensées. Le jour déclina si rapidement cette fois qu’ils en furent plus surpris qu’à la veille. Ils réitérèrent les mêmes préparatifs que la veille pour s’endormir et Rangler prit la parole :
– « Ne trouvez-vous pas étrange que seule la végétation nous entoure ? Aucun animal ne vit ici, que ce soit sur les feuilles des arbres, sur l’herbe du sol ou dans l’air, autour de nous. Avez-vous déjà cru aux malédictions ?
– Non. Elles ne sont bonnes que pour des contes de bonnes femmes ou des livres de sorcellerie. Et je suis bien placé pour savoir que la magie n’a pas sa place dans notre monde. Tout ce qui nous entoure est fait de choses concrètes, sans dessous, ni tromperie. »

Rangler empêcha le silence de s’installer entre eux et la forêt.
– « Certes. Mais admettez que cette absence de nature animale vous échappe.
– Je l’admets. Mais c’est ce qui me pousse à avancer. Je veux trouver un signe de vie dans cette forêt, le secret qu’elle renferme. Nous allons la traverser. Si nous la quittons sans découverte, j’y retournerai et percerai son mystère coûte que coûte, déclara Tyron.
– J’admire votre persévérance.
– Ce devrait être le propre d’un explorateur.
– Pour ma part, je ne rêve que de voyage. J’aime bien découvrir de nouveaux paysages, de nouvelles vues et senteurs… L’Angleterre m’était trop familière pour y demeurer.
– Certains hommes cherchent une femme. Pourquoi ne pas le faire ? demanda Tyron.
– Je ne pense pas que c’est ce dont j’ai besoin. Mon désir est comblé par l’air nouveau qui souffle au bout de mon nez. Et vous ?
– La découverte est la seule que je convoite.
– De toute évidence, plaisanta Rangler. »

Un dernier silence s’installa entre eux et fit place à celui de la nuit, du sommeil. Mais sans qu’ils ne le sachent, tout allait changer.

Au réveil, Tyron perçut quelque chose d’inhabituel aux alentours, comme une présence. Pourtant, rien. Le silence était toujours entêtant et les odeurs humides de la forêt ne différaient en rien de celles de la veille. Ils s’enfoncèrent ce jour-ci encore plus profondément dans les bois. Leurs provisions ne semblaient pas prêtes de s’épuiser ; Tyron avait pris soin de prendre ce qu’il fallait pour eux deux, assez de nourriture et d’eau. En se serrant la ceinture, ils pourraient tenir quelques mois.

Tyron sentait l’excitation grandir en lui, étrangement, bien que rien ne laisse présager quoi que ce soit. Il devait être aux alentours de midi quand Tyron sentit quelque chose glisser sur le sol. Il s’arrêta brusquement, déstabilisant Rangler qui le suivait de près.
– Qu’y a-t… ?
– Chut ! l’interrompit Tyron en s’accroupissant.

Les genoux pliés, il était attentif, désireux de voir cette créature qui avait glissée sous son pied. Après deux minutes sans nouveau signe, il repartit, plus convaincu encore qu’ils approchaient de quelque chose. A peine dix minutes plus tard, ses yeux perçurent une lumière plus vive et ses oreilles purent savourer le son d’un mystère enfin dévoilé. Ils avancèrent jusqu’à l’ouverture de la forêt sur une plaine de trésors.

Le son d’un doux court d’eau et d’une petite cascade vint éveiller leur ouïe avec douceur, une sublime odeur de parfum chatouilla leur nez, la vue du soleil les éblouit, et le mouvement de petites ailes fines et légères leur fit tourner la tête. De l’herbe brillait sur le sol, illuminée par les rayons du soleil qui la chatouillait délicatement, des fleurs embellissaient cette étendue par leurs couleurs et leur éclat, l’eau pure glissait sur de sombres roches grises et immaculées…

Les arbres semblaient s’être séparés pour former un cercle parfait où s’était créée tant de beauté. Tyron et Rangler restèrent un long moment sans rien dire, ébahis par tant de beauté, les regards perdus sur ces petites créatures ailées qui voletaient devant eux sans retenue.
– « Dieu, que c’est beau…
– Je n’vous l’fais pas dire… confirma Tyron dans un souffle.
– Que sont ces si splendides fées ? demanda Rangler en tendant la main pour toucher une des créatures du bout du doigt.
– N’y touchez pas ! On ne sait pas ce que c’est. Elles pourraient être mortelles que vous ne le saurez jamais.
– Du moins, jamais je n’ai vu similaire chose…
– Moi non plus… C’est la plus grande découverte du siècle… Une prairie cachée du monde par une forêt d’arbres entremêlés, sauf pour nous… Vous rendez-vous compte ?
– Pas réellement, je ne pense pas.
– J’admets la chose difficile à assimiler, reconnut Tyron. »
Ils avancèrent à travers le jardin divin et observèrent ces espèces d’insectes inconnues, ces fleurs inhabituelles et l’eau cristalline du petit ruisseau qui ne partait de nulle part et se terminait en terre. Que de mystères autour d’eux. Même la brume semblait avoir disparu.

Tyron s’assit dans l’herbe et sortit son carnet, pour la première fois aux yeux de son acolyte.
– « Qu’est-ce ?
– Un relevé de notre exploration. Je ne peux manquer d’y relater toute cette beauté ! »
Tyron y écrivit tout ce qu’il venait de trouver, dans les plus profonds détails. La nuit apporta la légère brise sur leurs visages et ils s’étendirent sur l’herbe séchée par les rayons de soleil toute la journée durant, contrairement à celle du cœur de la forêt, cloîtrée sous leur feuillage.
– « Nous avons réussi mon ami, lâcha Tyron.
– Il me semble, en effet. Mais cet endroit est tellement beau… Pourquoi diable se trouve-t-il enfermé parmi ces arbres ?
– Je ne saurais vous répondre.
– J’aimerai tellement y amener le monde, leur montrer cette splendeur de la nature ! »

Tyron ne répondit rien. Après tant d’espérance, il ne ressentait plus l’envie de rentrer en Angleterre, détenteur d’une telle merveille.
– « J’aviserai demain ce que je ferai.
– La nuit porte conseil, dit Rangler.
– Dormez bien.
– Vous de même. »
Et c’est ainsi que s’éteignirent ces deux êtres, envolés vers le sommeil.

Le destin scellé, ils dormirent.
Sans aucune idée de l’avenir,
Leurs paupières s’affaissèrent
Et leurs yeux s’absentèrent.

Dès leur réveil, aucun ne put reconnaître cet endroit dans lequel ils se trouvaient. Le nuage de brume semblait peser aux alentours, bien que dans la forêt, il ne descendait pas plus bas que la cime des arbres. Leur vision était donc limitée. Bien qu’absolument aucun arbre ne se trouve à proximité, leurs yeux ne pouvaient percer le brouillard à plus de deux mètres. Le sol fut la seule chose distincte pour eux -si ce n’est leurs propres corps côte à côte- ; comme de la mousse, bien que la texture se rapproche plus de la feuille. Tyron sentit le corps de Peter laisser grandir en lui la même anxiété qu’il ressentait. L’air était lourd et son sens de l’orientation ne vint pas à bout de cet étrange lieu ; ils avaient quitté la prairie, comme si elle n’avait jamais existé.

Rangler commençait à bouger au moment où un son étrange parvint aux oreilles de Tyron. Comme si des pieds traînaient sur le sol de feuilles. « Mais où diable autant de feuilles se sont-elles détachées de leurs branches ? » se demanda Tyron. Le son fut ensuite accompagné de toute une armée de bruits identiques, comme si des dizaines de personnes avançaient vers eux, censées être inexistantes dans cette forêt. Dans un élan de logique, Tyron songea à un groupe d’explorateurs, comme lui et Rangler. Jusqu’à ce qu’il les voit.

Des êtres, de taille humaine -des silhouettes humaines- qui n’étaient ni anglais, ni américains. Tout simplement, ils n’étaient pas hommes. Visages blafards aux traits cadavériques, yeux exorbités et lèvres sèches, ces choses glissaient vers eux, les corps droits. Tyron sentit son camarade glisser vers lui, raidi. « Quelles diableries sont-ce là ? » songea-t-il. Comme s’ils avaient entendu, et pour répondre à sa question, l’une des créatures avança vers lui et sembla redevenir humaine. En s’approchant de la chaleur de leurs corps, elle avait elle-même retrouvé la sienne, dans une douleur qui lui arracha un cri et la fit reculer. Une autre silhouette s’approcha, les joues moins creuses, les yeux plus vivants et la peau plus humaine que les autres.

Ce récit relate un voyage qui, sans que nul ne le sache, avait déjà scellé le destin de deux hommes avant même qu’ils ne devinent quoi que ce soit.

Les créatures erraient entre terre et ciel, entre vie et mort, sans nourriture ou lumière, sans beauté ou chaleur. Leur peuple de damnés avait pour but de récupérer des corps d’humains tels que James Tyron et Peter Rangler, égarés dans des lieux sordides. Ces deux hommes qui n’avaient rêvé que de découverte durant leur existence, avaient, sans le savoir, fait la plus importante de l’univers. Mais malheureusement pour eux, trop grande pour rester en vie.

Sans la découverte de la prairie, peut-être auraient-ils pu être épargnés. Mais le Destin a voulu que leur chemin rencontre celui de ce lieu maudit, attaché au monde des créatures comme une lande de repos. Les humains rendent aux créatures la chaleur disparue de leur corps. Les hommes glissent dans les ténèbres de la Mort. Elles, pour être punies, errent.

Etant donnée leur mort, vous vous demandez peut-être comment peut exister ce récit. Pour faire simple, je suis l’une de ces créatures, mais la seule à sortir tout juste de l’humanité. Durant ses derniers instants accordés, James Tyron désira achever de relater ses aventures dans son mince carnet lourd de secret. Je fis quant à moi le résumé de sa dernière exploration en guide d’hommage à ces deux hommes ayant troublé notre errance perpétuelle. J’écris avant de perdre l’esprit.

Mais désormais que vous détenez le secret, nulle garantie pour vous d’être épargné.

Que le vœu de ces hommes soit exaucé, leurs prières réalisées. Qu’ils puissent jouir d’une plus belle éternité que nous ; qu’ils puissent voyager jusqu’à la fin des temps…

Photo publiée sur Flickr en licence Creative Commons par Marc Lacoste


A propos de Christine Perrichon

Les autres... Mes copains d'école... Eux, ils jouaient aux pompiers, à l'école, au docteur... Moi ? A la bibliothécaire : j'avais même fait des fiches dans mes livres pour pouvoir les prêter... Ajoutez à ça d'avoir été pendant longtemps l'une des plus jeunes lectrices de la bibliothèque d'O. Et, chaque mercredi : " Quel est ton numéro de carte ? - 2552 - Mais non, tu te trompes, tu es trop petite pour avoir ce numéro là (les enfants de mon âge avaient un numéro supérieur à 4000)" Et puis, on ne pouvait emprunter des romans que si on empruntait des documentaires... C'est comme ça que j'ai lu toutes les biographies des peintres, musiciens, sculpteurs et même aviateurs ou chercheurs... Au moins, ça me racontait la vie ! Et je me disais : " Si j'étais bibliothécaire... je laisserais les enfants choisir ce qu'ils veulent lire..." Alors, quelques années plus tard, face au grand saut dans la vie professionnelle, comme une évidence : je serai BIBLIOTHECAIRE !!! Et depuis plus de 20 ans, de bibliothèques municipales en bibliothèques départementales, mon enthousiasme est intact : - Quand les cartons de livres commandés arrivent, c'est chaque fois un peu noël... - Quand je peux échanger sur les livres ou les CD que je viens de découvrir, c'est chaque fois un moment de bonheur... - Quand les outils numériques viennent bouleverser nos pratiques, c'est la plongée excitante vers l'inconnu... Une nouvelle aventure s'ouvre maintenant ! Chermedia, notre plateforme d'échanges et de partages

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