Ancienne résistante de la guerre 1939-1945, le témoignage de Suzanne Langlois sur sa captivité au camp de Ravensbrück devant une assemblée de lycéens et de lycéennes ne se passe pas comme d’habitude ; la main levée d’une jeune fille, puis sa remarque, et le récit s’enraye… « Suzanne Langlois se tait. Elle rentre chez elle »
C’est ainsi que Suzanne, le temps d’un récit, devient Mila, l’héroïne du roman…
Mila, vingt-deux ans, vit et travaille à Paris dans un magasin de musique. Jeune résistante, elle code secrètement des messages en remplaçant les lettres de l’alphabet par des notes de musique. Sur dénonciation, elle est arrêtée en avril 1944 avec sa cousine Lisette. Elles sont incarcérées à Fresnes puis transférées dans un wagon à bestiaux, au camp pour femmes de Ravensbrück en Allemagne dans le Mecklembourg où l’hiver, la température affiche -20°C..
Mila arrive enceinte, mais nie l’évidence de sa grossesse le plus longtemps possible et la dissimule à ses compagnes d’infortune. Elle vit dans l’angoisse des changements physiologiques et morphologiques de son corps et dans la terreur d’accoucher dans ce baraquement d’avilissement. Elle cherche d’autres femmes qui seraient dans le même état qu’elle… elle ne trouve pas… Que deviennent-elles..? Que deviennent les nourrissons..?
Face à la barbarie nazie du camp, véritable entreprise de destruction humaine programmée : manque de sommeil, sous- alimentation, travail jusqu’à l’épuisement physique, durée d’appel interminable, coups et punitions, froid glacial, expériences pseudo- médicales, épidémies (typhus, choléra…), insalubrité, promiscuité, odeurs pestilentielles (malades, cadavres)… Vivre devient une œuvre collective. Les femmes : Georgette, professeure de maths ,Teresa, la polonaise, Adèle… s’organisent pour conserver dignité, liberté d’esprit et d’imagination . « Être vivant c’est se lever, se nourrir, se laver, laver sa gamelle, c’est faire les gestes qui préservent et puis pleurer l’absence, la coudre à sa propre existence… Vivre, c’est ne pas devancer la mort ».
Teresa découvre la grossesse de Mila et réussit à la faire embaucher à l’atelier de couture …
– Le chien ne t’a pas mordue, tu entends ? Je vais te faire embaucher au Betrieb. La couture, c’est mieux pour toi . Le rythme est soutenu mais tu es assise. D’accord ?
– Je ne sais pas.
– Si tu dis oui c’est notre enfant .Le tien et le mien .Et je ne te laisserai pas.
– Pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce que tu veux ?
– La même chose que toi . Une raison de vivre.
Mila accouche dans la douleur et le silence, d’un garçon appelé James, aidée par une Schwester allemande et découvre ainsi la pièce dévolue aux bébés créée en 1944 à Ravensbrück . Une solidarité s’instaure autour de ce nouveau-né. Les femmes subtilisent lait, nourriture, médicaments et charbon pour que James vive et volent des bouts de tissu pour lui confectionner la layette .Une jeune femme russe, puis une polonaise qui ont perdu leur enfant allaitent James…Un règlement impitoyable est instauré par l’infirmière S.S…Le silence est sidérant dans la pouponnière, pas de pleurs pas de cris , l’atmosphère écœurante, répugnante … « Des vieillards miniatures en série ». James meurt à trois mois .Mila, transformée par l’amour maternel va adopter un autre petit garçon Sacha-James , le bébé de Nina , jeune maman décédée…Sacha-James est un bébé collectif, bercé par l’amour de Mila, dorloté par toutes les femmes qui lui transmettent le désir de vivre, tout un symbole , comme un message d’espoir…
Ces femmes seront libérées en avril 1945 par l’armée russe et la Croix Rouge. Sacha-James, quant à lui, à vingt-un ans connaitra le mystère qui a entouré sa naissance.
Ce roman beau et poignant relate une histoire mal connue « la maternité dans le camp de concentration ». Ce sujet difficile, traité avec réalisme et talent, ne peut laisser personne indemne…
Ce récit est inspiré de la véritable histoire de Marie-José Chombart de Lauwe, résistante de la première heure, qui deviendra grand officier de la légion d’honneur en 2008.
Sa famille possède une maison sur l’île de Bréhat au large de Paimpol dans les Côtes d’Armor. Sa maman, Suzanne Wilborts était sage-femme dans la région. Au moment de la déclaration de guerre elles prennent contact avec « le réseau 31 Georges France à Rennes » et à ce titre bénéficient d’un Ausweis. A l’appel du Général de Gaulle, elles organisent des départs vers l’Angleterre…
Étudiante en médecine à la faculté de Rennes, un matin de mai 1942, Marie-José est arrêtée. Un agent double a dénoncé tout le réseau…En juillet 1943, sa mère et elle, sont déportées dans un convoi NN (Nacht und Nebel, nuit et brouillard).
A Ravensbrück elles découvrent la chambre pour enfants ; elles sauveront 40 bébés sur près de 600, dont 3 français…
En juin 2013, Marie-José Chombart de Lauwe était présente à l’inauguration du collège de Paimpol qui porte désormais son nom.