Le Chuchoteur / Donato Carrisi. Calmann-Lévy, 2010
L’écorchée / Donato Carrisi. Calmann-Lévy, 2013
Surgit de nulle part dans le monde du polar « Le chuchoteur » rencontra en France (et ailleurs) succès public et critique et remporta plusieurs prix. Donato Carrisi, son auteur, criminologue italien d’une trentaine d’années publiait ainsi en 2010 son premier roman. Il y était question d’une enquête bien tordue menée par Goran Gavila et Mila Vasquez sur un sérial killer retors et pervers, (cela va s’en dire) un démoniaque « démembreur » qui dans les bois avait dispersé six bras gauches de fillettes…
Sept ans plus tard on retrouve Mila Vasquez dans « L’écorchée« , troisième roman de Carrisi. Traumatisée (tu m’étonnes !) par ce qu’elle à vécu et par ceux qu’elle a rencontré sur cette précédente affaire, Mila a décidé de disparaître dans les « Limbes », car c’est ainsi que l’on surnomme le service des personnes disparues. Des gens qui ne sont plus là, sans que l’on sache s’ils sont vivants ou morts. Elle avait souhaité ce service, sorte de cul-de-sac professionnel, plutôt qu’une promotion afin d’être tranquille, d’oublier et de se faire oublier. Cela ne lui sera pas permis !
Tout commence par un appel téléphonique :
Dossier 397 – H/5
Transcription de l’enregistrement de 6 h 40 du 21 septembre XXXX.
Objet : appel au numéro d’urgence de la police de XXXX. Standard : agent Clara Salgado.
Standard : Police. D’où appelez- vous ?
X : …
Standard : Monsieur, je ne vous entends pas. D’où appelez- vous ?
X : Je m’appelle Jes.
Standard : Vous devez me dire votre nom en entier, monsieur.
X : Jes Belman.
Standard : Quel âge as- tu, Jes ?
X : Dix ans.
Standard : D’où appelles- tu ?
X : De chez moi.
Standard : Pourrais- tu me donner l’adresse ?
X : …
Standard : Jes, pourrais- tu me donner ton adresse, s’il te plaît ?
X : J’habite à XXXX.
Standard : Bien. Que se passe- t-il ? Tu sais que ceci est le numéro de la police, n’est- ce pas ?
X : Je sais. Ils sont morts.
Standard : Tu as dit « ils sont morts », Jes ?
X : …
Standard : Jes, tu es là ? Qui est mort ?
X : Oui. Ils sont tous morts.
Standard : Ce n’est pas une blague, Jes, n’est- ce pas ?
X : Non, madame.
Standard : Tu veux me raconter ce qu’il s’est passé ?
X : Oui.
Standard : Jes, tu es toujours là ?
X : Oui.
Standard : Pourquoi tu ne me racontes pas ? Prends ton temps, si tu veux.
Jes : Oui. Il est venu hier soir. On était en train de dîner.
Standard : Qui est venu ?
X : …
Standard : Qui, Jes ?
X : Il a tiré.
Standard : D’accord, Jes. Je veux t’aider mais là, c’est toi qui dois m’aider. OK ?
X : OK.
Standard : Tu me disais qu’à l’heure du dîner un homme est entré chez toi et a tiré ?
X : Oui.
Standard : Ensuite il est parti, sans tirer sur toi. Tu vas bien, n’est- ce pas ?
X : Non.
Standard : Tu veux dire que tu es blessé, Jes ?
X : Non, qu’il n’est pas parti.
Standard : L’homme qui a tiré est toujours là ?
X : …
Standard : Jes, s’il te plaît, réponds- moi.
X : Il dit que vous devez venir. Vous devez venir tout de suite.
Conversation interrompue. Fin de l’enregistrement.
A l’opposé de ses confrères Carrisi prend le polar à contre pied en ne localisant pas géographiquement son histoire, pas de nom de ville, de rue… Ni le Paris ou la province française de Simenon, pas le Los Angeles de Connely, pas l’Islande d’Indridason, ni même la ville fictive d’Isola d’Ed McBain, etc. On n’est nulle part, ou partout. Même le nom des protagonistes, méli-mélo hybride n’indique rien.
Une soixantaine de chapitres finissant tous sur une révélation, un fait inattendu… parfois un retournement. Mais Carrisi n’en abuse pas, il ne joue pas au plus malin avec son lecteur, ne cherche pas le perdre ou à le tromper. Son récit est une construction cartésienne, une mécanique de rouages et de rouerie, tout s’enchaîne, tous s’explique. Ou presque…
On tourne les pages, on avale les chapitres et lorsque la fin est là (glaçante) c’est le matin et on n’a vu passer ni la soirée ni la nuit. Trop tard ce livre et ses personnages n’ont pas fini de vous hanter.
Pingback: Quais du polar : 10 ans déjà | CherMedia