Les bibliothèques en mutation : retour sur la conférence de Claude Poissenot 3


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C’est le sociologue Claude Poissenot, enseignant-chercheur à l’IUT de Nancy, qui a ouvert les rencontres de la lecture Publique le lundi 16 juin sur le site de la Pyramide du Conseil Général.
Il nous invite, à l’occasion des 50 ans de la Direction de la Lecture Publique, à profiter de ce moment de fête qui marque une rupture avec le temps ordinaire, pour réfléchir, nous interroger sur la bibliothèque aujourd’hui et pour cela, propose d’aborder dans un premier temps la question suivante :
Qu’est-ce qui a changé dans les bibliothèques depuis 50 ans ?
La fréquentation a augmenté régulièrement jusqu’aux années 90 pour connaître une érosion en ce qui concerne les inscriptions et les prêts de documents, précise le sociologue. En revanche, le nombre de visites sans emprunts continue de progresser. Ce basculement des pratiques où l’on passe d’un usage centré sur le document à un usage centré sur l’espace devrait interroger les pratiques des bibliothécaires : il faudrait pouvoir mesurer la fréquentation sans inscription par l’installation dans toutes les bibliothèques de compteurs de passage, ce qui pourrait aider à légitimer la place de la bibliothèque auprès des élus. Claude Poissenot nous suggère même d’offrir ces compteurs à chacune des bibliothèques du réseau…
Les bibliothèques, selon l’Observatoire de la Lecture Publique sont plutôt fréquentées par des femmes et plutôt par les classes sociales les plus favorisées. Financés par l’argent public, elles doivent être au service de tous : ainsi, comment capter un public peu familier de ces lieux de culture souvent perçus comme impressionnants. C’est l’un des enjeux fondamentaux des bibliothécaires aujourd’hui qui n’est pas sans conséquence, notamment sur les politiques d’acquisition et sur leur adaptation aux besoins et aux centres d’intérêt de la population.
Par ailleurs, la fréquentation juvénile (15-24 ans) est en baisse depuis 1998. Elle s’érode à partir de la fin du primaire et une partie croissante des jeunes grandit sans passer par la case bibliothèque.
La lecture de livres papier est, elle aussi, en baisse tandis que celle sur les écrans augmente. Cette mutation des pratiques (80% de la population étant aujourd’hui connectée) entraîne une baisse de la demande de livres papier. C’est un phénomène générationnel, chaque nouvelle génération lit moins de livres et de journaux que la précédente. Quelle place les bibliothèques peuvent-elles, doivent-elles occuper dans ce nouveau contexte ?
A cela s’ajoute une mutation sociale depuis les années 1960 : la définition de l’individu évolue et tend à positionner l’affirmation de soi comme valeur. Ce changement de regard sur les personnes touche même les plus jeunes (le bébé est une personne… l’enfant, l’adolescent n’est plus une simple « pâte à modeler ») à qui l’on reconnaît la capacité, le droit à l’autonomie, à créer son propre monde, définir ses propres références. C’est une remise en cause de la prescription et des institutions, typique de notre monde d’aujourd’hui : autorité ? Tutelle ?… Si je veux !
Le sociologue tente d’identifier les valeurs de l’individu contemporain : être soi-même, être « je » contre une identité statutaire, être multiple (passer d’une appartenance à une autre) en ayant accès à des outils comme le téléphone portable et la voiture, choisir ses appartenances (être relié tout en gardant la main, engager une partie de soi-même seulement). Chacun veut des appartenances souples, réversibles tout en quêtant une reconnaissance, que les autres nous confirment dans ce que l’on veut être.
Un monde sans passé collectif devient possible (le passé on s’y intéresse si ça fait sens pour soi).
A ces changements sociaux s’ajoute une profonde modification du monde rural. Les villes sont habitées par les classes les plus favorisées tandis que les classes populaires sont reléguées à l’extérieur des centres urbains.

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Après ce constat, Claude Poissenot nous propose la deuxième étape de sa réflexion : qu’est-ce qu’une bibliothèque du point de vue contemporain ?

Les bibliothèques ont changé, elles sont beaucoup moins centrées sur le document en tant que collection.
L’idée est de mettre le public au cœur des préoccupations. A qui s’adresse -t-on ? Comment la bibliothèque peut-elle être attractive ? En quoi les bibliothèques peuvent elles être utiles aux gens tels qu’ils sont, non tels qu’ils devraient être et encore moins tels que les bibliothécaires voudraient qu’ils soient ?
Pour le sociologue, la bibliothèque comme espace aura toujours du sens dans 50 ans mais pas la bibliothèque centrée sur le document. Les bibliothèques sont le lieu de la socialisation des solitudes.
La bibliothèque participe à la vie de la commune à travers son espace, l’espace construit la communauté. La bibliothèque est un lieu public « routinable ».

Claude Poissenot évoque le concept de la bibliothèque « troisième lieu », espace public où l’individu se construit en dehors de la maison et du lieu de travail.
L’espace c’est aussi le lieu du groupe, de l’échange, de la parole. L’appropriation de la bibliothèque par les jeunes peut passer par l’appropriation par le groupe de jeunes (pour apprendre à dire « je » il faut d’abord dire « nous »). Les jeunes pourraient s’adonner à leurs propres pratiques culturelles à la bibliothèque (partager des vidéos sur Youtube par exemple comme le suggère Claude Poissenot).
Les individus se définissent aussi par leur corps et doivent se sentir bien dans l’espace de la bibliothèque (horizontalité du corps).
La bibliothèque reste une source d’informations. Les bibliothécaires doivent offrir leur expertise pour conseiller, informer le public, répondre aux questions pratiques.
La bibliothèque est aussi un lieu de redistribution sociale par la mise à disposition de documents.
Comment Claude Poissenot voit-il la bibliothèque de demain ? Selon lui, dans 50 ans la bibliothèque aura pris en compte les mutations de l’environnement, elle aura acquis la capacité à s’inscrire dans son environnement tel qu’il est et non tel qu’il doit être.
Merci à notre intervenant pour les pistes de réflexion proposées aujourd’hui, à retrouver dans son ouvrage paru aux éditions Territorial « La nouvelle bibliothèque : contribution pour la bibliothèque de demain ».

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