quand le vélo percute la littérature


Forcenés / Philippe Bordas .- Fayard , 2008

C’était avant. Avant le bitume omniprésent, les ronds points , au temps de la poésie sauvage des coursiers  magnifiques . Avant Armstrong, avant les perfusions savamment dosées, avant la dope scientifique, au temps d’Alfred Jarry , du charbon flamand, de Bonnot et sa De Dion culminant à des 50 à l’heure, au temps où le cyclisme était une échappatoire à l’esclavage industriel. La silicose ou la gloire.

Au temps aussi du Front Populaire. L’enchantement a pris fin peu après les Trente Glorieuses, un peu avant  l’avènement du CAC 40. Beauté en course ou coté en bourse, faut choisir. Les dieux se sont fait la paire.

On les nommait forçats de la route et c’est bien le moins qu’on en pouvait dire. Prolétaires machinaux des pavés du Nord, centaures des Bordeaux-Paris, avaleurs de Ventoux, enchaînés des Dauphinés, trompe la mort normands, granitiques auvergnats, enrouleurs de braquets, tripes et boyaux, aristos populaires des sprints de légende et des échappées d’ asphyxie. C’était du temps où le peuple se dépassait par procuration en acclamant ses héros d’avant la pub à Séguéla, avec quand même Yvette Horner et son accordéon, musique au vent sur sa Citroën 15 dans la caravane du Tour de France. Empereurs du pavé, vertigineux du Giro, ils avaient nom Pelissier, Van Steenbergen, Coppi, Anquetil et autres Poulidor. Forcément il en manque. Forcenés donc  admirables, ceux dont on n’oublie pas les grimaçants faciès en noir et blanc dans les journaux jaunis et à la TV à une ou deux chaînes.

Si vous êtes sensibles encore à tout ça, ouvrez, lisez ce livre à l’écriture baroque, heurtée, nerveuse,  grimaçanet comme ces coureurs à l’agonie dans des épreuves insensées et vous saurez pourquoi on dit du cyclisme que c’est le plus dur (le mot est doux) de tous les sports (si c’est un sport et non une folie faustienne,  Coppi se prénommait Fausto !). De même vous saurez pourquoi une myriade de héros quotidiens, massés le long des routes,  se reconnaissait dans ces damnés.

Sinon il reste le tennis et ses torticolis sur écran panoramique, la natation et ses naïades éphémères, et quelques olympiades à la flamme vacillante, pourquoi pas ?


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