L’association « Autour du court » a organisé un concours de nouvelles sur le thème de la ville, à l’été 2014… Le jury s’est prononcé… Les lauréats ont été présentés à la médiathèque de Bourges samedi 22 novembre. A vous de découvrir les textes retenus…
Je marche seul, je me balade en baladeur. L’air tout frais de Paris me saisit, ce petit froid si doux qui titille les joues, sec et lumineux, un peu comme si on ouvrait la porte du congélateur mais en gardant ses deux mains bien au chaud au fond de ses poches. Le rose est dans le ciel au coucher du soleil et se colle à mes joues pour les y assortir. Mon sourire est vermeil, gelées sont mes oreilles et l’écharpe à mon cou, mais je me tiens debout face à ce vent qui me réveille et me secoue. Je sens mille merveilles dans la vie qui s’ébroue, et vois dans la froidure la soif des aventures et la faim du chemin qui me réchauffera.
Tout seul et anonyme, je zigzague donc jusqu’à Montmartre, pour prendre l’air.
De là-haut, je m’offre une minute de contemplation, avant de plonger dans le sein de Paris, de boire ses lumières. Un coup d’œil sur Notre-Dame-de Lorette. Toujours tout droit. Avec l’impression d’avoir suffisamment de trucs à fuir et suffisamment de souffle pour me porter jusqu’à Orléans. La mécanique du cœur se règle sur la mécanique de mes pas, quand soudain je m’arrête pour regarder passer un essaim de rollers, anonymes et grisés eux aussi par le froid et la liberté, malgré nos parcours limités et délimités. Je me raccroche à une phrase de Bulles de savons, une chanson d’Aldebert : « Tout le monde est comme les autres .» Différent, en somme…
Je suis seul, je suis mille, je suis dans ce coup d’œil que je jette à la dame, je suis dans la chaleur quand mes pas s’accélèrent, dans la sécurité de ce vieux macadam.
Je taille les arrondissements, 18… 9… 2… 1… Banco ! Quelque part planquée sous mes baskets, c’est un peu de la joie de vivre que je trouve, et je Louvre. Tout est si beau autour et mon regard parcourt l’ombre des Tuileries. Au loin, la grande roue, dont on dit souvent qu’elle tourne, eh bien tourne… chipie, à force de tourner on prend de la hauteur pour oublier un peu de regarder nos vies. Je longe le jardin sous les phares et les fards de la Dame de fer. Je suis au cœur d’un lieu qui fait rêver la planète entière et j’en ai une conscience aiguë, presque mordante. Je continue, pour voir où je me mène, j’écarte les rideaux des quelques gouttes d’eau qui parfois se promènent. Il y a cent mille restos pour cent mille saveurs et tout autant d’ambiances, ah les goûts les couleurs, quand tout ça se balance, je le cueille en silence et fais la carpe diem devant tout ce qui s’aime. Je me laisse me perdre en allant de l’avant, je vais tout droit devant (oh tiens, un pigeon mort), avance vers la Seine.
Comment pourrais-je avoir une envie de rentrer quand j’ai bien trop peu d’yeux pour les lancer partout ?
Je me sens au diapason du monde, note singulière baignée en harmonie sur la portée des jours et du moindre de nos actes. Je continue à marcher, en accéléré, je me baigne dans la foule qui nous porte et, dans la folle farandole, je retrouve l’énergie de me suspendre au temps, les yeux brillants, devant le spectacle : sur le parvis de Notre-Dame, deux Esméraldas improvisées du XXIe siècle s’amusent avec le feu qu’elles dansent autour d’elles. Des gens dorment dehors, c’est aussi ça Paris, et la vieille Renault du Secours Populaire crachote pas très loin de la Conciergerie.
La ville est toute en soi un éternel départ, elle vibre de chaleur, d’échoppes et de bars, je suis rue Mouffetard, d’un café cachotier s’échappent des guitares. Je file mais suis rattrapé par cette nappe mélodieuse qui s’enroule autour de mon crâne et me force à tourner la tête. La musique arrive confusément, d’une pièce en sous-sol sans doute. Alors je m’offre une parenthèse, un sursis, j’entre dans ce bar tout bricolé de bric et de broc et descends m’asseoir dans le fond, dans la pénombre, sur un petit banc de bois, et je m’adosse au mur. La salle est minuscule, les musiciens sont à trois mètres de moi. Parfois, quelqu’un passe sous les projecteurs le temps de contourner la scène pour aller aux toilettes. La chanteuse est belle, a la voix veloutée qui me remue les tripes et me vrille le cœur. Cœur qui vient s’emballer au rythme de la batterie quand mon œil s’arrime à une brune, à quelques centimètres de moi…
Lucie ! Cornebidouille et frangipane, Lucie est là, pile là ! Lucie que je n’ai pas revue depuis dix ans, Lucie avec qui j’ai tant blagué, parlé, rêvé, dans les cours et dans les coursives, dans le métro, dans nos studios, dans les heures répétitives… Lucie ! Tranches de quotidien comme du pain perdu tout de sucre et de lait dans lesquelles je croyais que je ne mordrais plus. Mais Lucie est là, bordel, dix ans après ! Ça m’en bouche un tel coin que ça me coupe le souffle. Je viens de marcher sur un pétard de chance qui m’explose en pleine poire, et tous mes mots en tombent. J’ai la vie qui partout me piaffe dans les veines, et j’admire attendri ce pot inopiné.
Voilà qu’elle se retourne, voilà qu’elle me distingue en plissant ses yeux gris, et les dix ans valdinguent quand elle me dit « oh mon salaud, ça pour une surprise, c’est une putain de méga bonne surprise ! »
Je ressors à son bras dans la ville majuscule. On est resté là-dedans une éternité et demie, à peu près. On s’est retrouvés fastoche, sans anicroche, on s’est parlé comme si on s’était vus la veille. Dehors, tout s’éteint, tous s’étendent, et le reste se tait. La nuit se fait géniale dans ce grand poulailler devenu halte pâle. On oublie un moment ce qu’est la capitale, on oublie ce qui bouge, on oublie ce qui braille, on s’envoie des bourrades, on se prend par la taille, on dessine un chemin sur un vieux macadam, et l’on fait du lointain un horizon pour dames. On aperçoit Paris avec un ciel dessus, on peut trouver un arbre au détour d’une rue et même, en ce moment, de grands éclats de rires. Et nos pas qui résonnent dans les rues qui se donnent, et l’amitié renaît de tous nos souvenirs.
Whaouououou ! Belle bouffée d’air frais ! Que du bonheur ! Merci au marcheur, à l’écrivain, à la chanteuse de la rue Mouffetard, à Lucie, au petit vent qui chante aux oreilles … Comme si j’y étais !
J’aurais bien envie d’entendre ce texte avec mes deux oreilles, je suis sûre qu’il sonne et résonne encore mieux !
Un grand merci !! 🙂 C’est délicieux d’avoir un retour pareil !
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