Autour du court… And the winner is… (2) 1


L’association « Autour du court » a organisé un concours de nouvelles sur le thème de la ville, à l’été 2014… Le jury s’est prononcé… Les lauréats ont été présentés à la médiathèque de Bourges samedi 22 novembre. A vous de découvrir les textes retenus…
Il faut anticiper la teinte que va prendre le cadavre au petit matin. Rosacé, blanchâtre, vert-de-gris ? Difficile d’extrapoler pour Anahé, elle est néophyte. Elle doit aussi tenir compte de la lumière au lever du jour car le corps sera sans doute découvert par un jogger du dimanche, l’un de ceux qui empruntent le chemin le long de la Garonne depuis la prairie des Filtres jusqu’au pont de la Croix de Pierre. La jeune fille hésite : laisser éclater sa créativité – elle est graphiste – au risque d’offrir un indice de taille aux enquêteurs, ou s’aventurer vers un mélange criard, renonçant à toute déontologie pour brouiller les pistes. Elle décide de jouer sur des associations audacieuses en espérant que la peau prenne une couleur assortie aux tons choisis et que la lumière matinale fasse ressortir les subtilités de l’ensemble.
S’éclairant de sa lampe frontale, elle applique un vernis saumon sur les ongles des orteils, et elle passe un fuchsia sur ceux des doigts. Puis elle maquille le visage dans une harmonie pétillante : rouge à lèvres framboise, fard à paupières rose bonbon, pommettes exagérément rougies. Pour le T-shirt, elle sort sa bombe de peinture hotpink, et inscrit : « Vive la Ville Rose ! ».
Anahé regrette presque son dernier geste, ce surnom est surfait, ce sont plutôt des dégradés rouge-orangés qui se déclinent sur Toulouse, des variations de lumière sur les briques, pas toujours très authentiques, créant une atmosphère particulière selon l’heure et la saison. Mais avec cette valeur sûre, elle met toutes les chances de son côté.
Sur la rive opposée, Leny s’affaire sur le sentier qui borde l’île du Ramier. À défaut d’un joueur du Stade Toulousain, il s’est rabattu sur un supporter ivre, dégotté Chez tonton, bar mythique de la place Saint-Pierre. Le gaillard, euphorique après la victoire de son équipe, restait scotché au comptoir, et Leny a dû attendre la fermeture avant de le convaincre de partir, en promettant le délire d’une quatrième mi-temps clandestine.
Il leur a fallu une heure pour atteindre sa voiture garée au bord du canal de Brienne, à quelques centaines de mètres à peine ! Les déambulations titubesques de l’énergumène ont failli avoir raison du projet de Leny. Mais après une pénible installation, tout s’est enchaîné. Le type endormi ne s’est même pas réveillé lorsque Leny l’a tiré de l’habitacle pour le traîner jusqu’à l’endroit tranquille repéré les nuits précédentes.
Dézinguer le mec a donc été un jeu d’enfant. Maintenant, il est temps de travailler la mise en scène. Avec sa panoplie rouge et noir, le supporter a déjà la tenue adéquate, il porte le maillot officiel et l’écharpe aux couleurs du Stade. Il est bien pourvu côté accessoires également : coque de Smartphone à l’effigie de son club favori, sac dédié, porte-clé et briquet avec l’écusson fétiche imbriquant le S et le T. Inutile de surcharger, Leny retire le bandana trop connoté pays basque, mais il serait dommage de ne pas utiliser quelques-unes de ses propres acquisitions. L’affaire sera peut-être rentable, mais Leny tient à ses principes, on ne fait pas d’achats inutiles, lui a appris sa mère. Minutieusement, il dépose des ballons ovales autour du type, lui attache un collier portant le sceau de son équipe, et accroche des fanions aux branches. Pour finir, il applique quelques stickers sur les troncs d’arbres qui jalonnent le sentier jusqu’au parking.
Au même moment, Lolita arrive sur le tarmac de Toulouse-Blagnac. Heureuse de rentrer pour participer à un challenge professionnel bien plus excitant qu’une commande classique, elle imagine son come-back définitif. Elle se lancerait dans un projet personnel : racheter un café huppé place du Capitole, monter un restaurant branché côté Victor-Hugo, ouvrir une boutique dans le quartier Saint-Étienne.
En récupérant ses bagages, elle constate que les costards-cravates sont légion, c’est le profil qu’elle recherche. L’un d’entre eux attire son attention : businessman, local à vue de nez, la cinquantaine, crâne rasé pour masquer une calvitie irréversible, le regard fier… Candidat parfait !
Lolita suit l’homme au contrôle. Il passe sans souci. Par contre, quand vient son tour, on lui fait déballer ses affaires. Elle se plie à la procédure avec un sourire de circonstance mais enrage. Sa cible évanouie, il lui faut en changer, et vite, car l’heure tourne.
Un mal pour un bien, un pilote sans doute pressé de rentrer la bouscule puis se confond en excuses. Elle s’était focalisée sur l’importance du cadre – l’aéroport – et le choix d’un homme d’affaires pour mettre l’accent sur le côté « économie locale », mais quoi de mieux qu’un aviateur comme symbole de l’entreprise phare de la ville ?
Formalités d’usage, opération séduction. La routine pour Lolita. L’homme lui propose de la raccompagner. Il la conduit jusqu’à sa voiture en lui racontant sa vie : divorcé, pas facile de réussir une vie de famille quand on est toujours entre deux avions, peu de femmes supportent ça, mais pilote de ligne, c’était son rêve de gosse, blablabla. Lolita en a suffisamment entendu. Le parking est désert. Un coup de silencieux suffit. On lui reprochera peut-être le mode opératoire simpliste ou, au contraire, le côté épuré pourrait être apprécié.
Par souci du détail, elle cherche les papiers de l’homme afin de pouvoir préciser son nom. En voyant son identité, elle manque de pousser un cri. Il n’a rien d’un pilote, c’est un dirigeant du constructeur aéronautique local ! Il y a vraiment des tordus qui utilisent des techniques de drague minables, pense-t-elle…
À quelques kilomètres, dans le quartier de Borderouge, Alex achève lui aussi son forfait. Cet étudiant en école de commerce ne rêvait que de botanique, mais il s’est laissé emporter par les frayeurs ambiantes : choisir une filière utile, éviter le chômage, fuir le présent et ses mirages. Désormais, il ne veut plus que des fragrances, des effluves, des trucs qui sentent bon. D’où la teneur de son projet qu’il concrétise à la date imposée, bien qu’il y travaille depuis plusieurs semaines.
D’abord, il a séduit la fille en ayant recours à sa passion végétale. Ça marche à tous les coups et ça compense son physique ingrat. Ajout de poésie, de patience, de persévérance et le tour était joué. Puis il a préparé une escapade nocturne : tu verras, cette fleur est spéciale, elle va éclore cette nuit, elle dégage un parfum hors du commun, c’est une plante exceptionnelle, on ne peut pas manquer ça. Elle a gobé, la godiche ! Mais gentille godiche, elle va lui manquer. À la voir inerte, au fond du parc de la Maourine, il a un peu de peine. Il reste là à la contempler, détectant son arôme naturel derrière les artifices du parfum industriel et du déodorant bon marché.
Enfin, il répand des violettes sur le cadavre. L’odeur lui rappelle les savonnettes de sa grand-mère, mais le symbole y est. Ressortie des fonds de tiroirs de la ville, la violette de Toulouse est déclinée en parfums douteux, en liqueur fadasse, en bonbons infects, en encens made in China, sans parler des boutiques kitch et des restaurateurs qui la fourguent de l’entrée au dessert. Alex n’est pas un adepte de la petite fleur, trop populo à son goût. Cela dit, peu de gens savent que la violette est la fleur fétiche de la ville. Certains participants ont sans doute eu une inspiration plus classique. À défaut de gagner, ce sera l’occasion de se faire remarquer par des professionnels.
Post du 24 juin sur le site sotoulousainproject.onion
Résultats du concours « So toulousain ! »
Toulousains de naissance ou de cœur, professionnels ou amateurs zélés, vous avez été vingt-six à participer à notre challenge inédit, un nombre remarquable pour ce type d’opération. Le concours a eu un retentissement national et même international dans la presse, les médias et sur les réseaux sociaux.
Le surnom Ville Rose vous a beaucoup inspirés, avec un gavage aux pétales de rose, une projection d’épines, une injection de colorant rose mortel ou un enfouissement vivant dans un cercueil de briques. Certains ont creusé du côté rugby : empoisonnement d’un joueur renommé du Stade Toulousain, étranglement de supporter, etc. D’autres se sont orientés vers l’activité prépondérante de la ville, l’aéronautique, avec un passager ligoté dans le train d’atterrissage d’un avion ou un douanier de l’aéroport étouffé dans une valise.
Les membres du jury, dont nous tairons le nom par souci de discrétion, mais tous spécialistes reconnus, ont délibéré. Conformément au règlement, quelques réalisations ont été écartées soit en raison du non-respect des critères imposés (jour et heure, limites géographiques, référence culturelle, démarche créative sans caractère gore), soit du fait de l’arrestation du participant.
L’heureuse lauréate est Anahé B. Outre son gain de 500 000 euros, elle pourra signer un contrat avec notre organisation internationale. Sa réalisation « So rose » s’est démarquée par sa teneur esthétique et par la prise de risque importante nécessaire à son exécution. Cette débutante fait directement le grand saut du côté des pros !
Une mention spéciale est attribuée à : Leny X. pour la qualité des accessoires de « Ivre de rugby », Lolita P. pour le choix audacieux de la cible de « Passion pilote » et Alex W. pour la fantaisie poétique de « Amourette violette ». Nous surveillerons de près ces talents prometteurs.
Merci pour votre participation et continuez à suivre nos concours sur Tor, réseau mondial libre et anonyme. Comme vous le savez, nos sites sont éphémères, alors restez en veille !
Post du 11 septembre sur le site crimabobosproject.onion
Lancement d’un nouveau concours !
Face à l’engouement suscité par le concours « So toulousain ! », nous organisons un nouveau challenge intitulé « Crime à bobos ». Nous vous tiendrons informés des modalités, des prix en jeu et de la deadline. Préparez-vous à un niveau de compétition élevé, vous devrez plus que jamais faire preuve d’endurance, de technicité et d’originalité. Et grande nouveauté : le champ d’action de ce concours sera national !


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