Comme tout bon pèlerin, le bédéphile qui se rend à Angoulême en cette période de Festival International de La bande Dessinée, se dirige directement au Saint-Lieu où il fera ses dévotions, soit au 121 rue du Bordeaux : Le CNBDI (qui est à Angoulême ce que la Sainte Grotte est à Lourdes).
Et là stupeur et reniflements… Y a du changement dans l’air glacé pour le pèlerin qui n’a pas « pèleriné » depuis deux ans.
Le Centre National de la Bande Dessinée et de l’Image (CNBDI) n’est plus. Vive la CIBDI (Cité Internationale de la BD et de l’Image). Une renaissance tel un phénix mais sans combustion ni cendres… mais avec changement de sexe ! C’est bien gentil et anecdotique allez vous me rétorquer. Certes ! Un historique de la chose s’impose !
1974 : première édition du Salon international de la BD
1983 : le Musée des Beaux-arts ouvre un espace dédié à la BD, la galerie Saint-Ogan (du nom de l’auteur de Zig et Puce)
1990 : inauguration du CNBDI (le 24 janvier). Une ancienne brasserie transformée (réinventée) par l’architecte Roland Castro. Une formidable architecture entre antique, post-modernisme et four solaire. En son sein des bureaux, 2 salles de cinéma et une bibliothèque spécialisée en bande dessinée (aujourd’hui 43000 albums, 115000 fascicules…)
1991 : ouverture du musée de la BD au sein du CNBDI
1995 : inauguration de la très référencée librairie BD (sur 200 m²)
1999 : démontage du musée de la BD
2002 : exposition temporaire joliment nommée « Musée imaginaire » qui durera jusqu’en 2006.
2008 : le CNBDI devient la CIBDI (voir plus haut)
2009 : inauguration le 20 juin d’un nouveau musée de la BD.
Et nous y sommes… presque ! Face au Bâtiment Casto, une fois traversée la route (de Bordeaux) il y a la Charente. Et sur l’autre rive de ce débit d’eau bouillonnant et bullant, un nouvel édicule !
Pour y parvenir, une passerelle de bois et d’acier enjambe le fleuve, en deux gigantesques pas, faisant une halte sur une île émergeant dans un de ses méandres.
On l’emprunte, curieux de ce que l’on va découvrir de l’autre côté.
A gauche du long ponton, formant une digue sur un bras de la rivière, un moulin, l’ancienne papeterie Joseph-Bardou, ancienne manufacture de papier à cigarettes « Le Nil » devenue en 1988 Le Musée du papier-Le Nil
Ce dernier abritait en ce début d’année une expo sur des auteurs de BD russes, et une autre, beaucoup plus évocatrice de son glorieux passé sur la fabrication et la commercialisation du tabac et surtout du papier à cigarettes (à rouler principalement), entre 1850 et 1950.
Une exposition fournie et bien mise en scène présentant différentes machines à fabriquer ou façonner le papier ainsi que de nombreuses affiches et autres réclames.
Ce qui ne m’a pas incité à m’en griller une, mais m’a irrésistiblement évoqué une lecture de naguère, l’un des (nombreux) chefs-d’œuvre du grand mais toujours trop méconnu Alexandre Vialatte : « La dame du job » . Essayez vous ne serez pas roulé.
A mi parcours de la passerelle, on rencontre un Corto Maltese de bronze, regard métallique mélancolique tournée en aval des eaux tonitruantes. Et sans doute pense-t’il à ces océans où il a tant vogué et bourlingué.
De l’autre côté de la passerelle-passage on débarque au nouveau musée de la BD sis dans d’anciens Chais ! A croire qu’en Angoumois eau, vin et bulles sont indissociables !
Les ex chais sont un choix judicieux (à dire très vite). Immense parvis, façade de pierre blanche, sombres baies vitrées. La réhabilitation est de Jean-François Bodin, architecte spécialisé dans la confection des musées. A l’intérieur, 4068 m² dévolus aux expositions dont 1300 m² à l’exposition permanente. 8000 planches, dessins originaux, objets dérivés… se relaieront dans les vitrines, sachant que pour leur bonne conservation les planches ne peuvent être exposées plus de trois mois (sous une lumière de moins de 50 lux) et devront retourner 30 mois dans le noir total ! Avec le temps d’installation cela représente 3 expos annuelles différentes sur une rotation de trois ans. Donc neuf installations différentes !
Du côté exposition provisoire le musée accueille ce début d’année 2010 : « Cent pour cent« où cent auteurs d’aujourd’hui revisitent cent dix planches d’auteurs classiques. Réinterprétations pas toujours convaincantes mais pour le moins curieuses et qui disent beaucoup sur l’évolution de la BD, voir sur l’art contemporain.
Après le(s) Temple(s) de la BD, la Grand Messe annuelle.
Le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême vient de clore les portes de sa 37e édition après une demi-semaine (du 28 au 31 janvier 2010) d’effervescence et d’ébullition.
Et de nouveau les bulles (appellations angoumoises des chapiteaux) surchauffées grouillent de flâneurs ébaubis, de festivaliers aguerris, de geeks statufiés dans une course immobile aux dédicaces, d’auteurs réjouis par tant de sollicitations graphiques ou fourbus par cet « abattage » frénétique.
Comme d’habitude un foisonnement d’expositions qui ne laisse cependant rien deviner des fastes d’antan (Ah ! la kolossale expo du « Monde des cités obscures » de Schuiten et Peeters (en 90)… Ah ! la labyrinthique expo « Goscinny, profession humoriste« (en 91)… Ah ! la fantasmatique expo sur « les mondes de Cyann » par Bourgeon…)
Bref, foin de nostalgie. Cette année on a pu admirer : une rétrospective sur « Les tuniques bleues« de Raoul Cauvin et Willy Lambil (40 ans déjà), un accrochage (un peu frustrant) de planches de « Léonard « (le génie) de Turk et Bob De Groot, une visite du monde fou, fou, fou… de « One piece« d’Eiichiro Oda …
Plus novatrice était l’exposition consacrée au Grand Prix 2009, et par conséquent président du festival 2010 : le virtuose Blutch (rien à voir avec le caporal Blutch des Tuniques bleues)…
Et beaucoup plus surprenantes les deux installations :
« Contre feux » exposition érudite et décalé du compulsif Jochen Gerner
et la ludique et lubrique « Planche en vrac ou à la découpe « d’Etienne Lécroart.
Enfin (après un insoutenable suspense et une interminable attente) le dimanche 31 janvier était annoncé le palmarès :
Le Grand Prix va à Baru… et c’est bien mérité ! Il avait déjà été récompensé, par deux fois, du prix du meilleur album : en 91 pour « Le chemin de l’Amérique« et en 96 pour « L’autoroute du soleil « (au départ un travail de 400 pages pour Kôdansha, un éditeur japonais) ainsi qu’au début de sa carrière par le Prix Espoir pour son premier album « Quéquette blues« (!!! Quel titre ! Premier album d’une trilogie sociale et rock ‘n’roll qui vaut mieux que… son titre). Son dernier album « Pauvres zhéros« publié en 2009 par Casterman/Rivages est l’adaptation d’un polar de Pierre Pelot et une fois encore une (sombre) merveille.
Le Fauve d’Or (prix du meilleur album) revient à « Pascal Brutal t.3 : Plus fort que les plus forts« de Riad Sattouf… et ça me laisse sans voix et sans bras (y m’en sont tombés). C’est donc une année faste pour Riad Sattouf qui a triomphé au cinéma avec le réjouissant et peu politiquement correct, « Les beaux gosses », sa première réalisation, adaptation de ses albums (La vie secrète des jeunes et Retour au collège).
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=adY03AiyQpo[/youtube]On peut percevoir son Pascal Brutal comme une pochade provoc et régressive façon Fluide glacial (c’est eux qui l’éditent) ou comme un potage potache (une soupe à la grimace pas cuite et trop salée).
Il est vrai que le choix était ardu parmi les 4409 publications (nouveautés et rééditions) de l’année 2009. Grisé par tant d’albums on n’en retient finalement que le plus corsé.
Le Prix Jeunesse a été décerné au tome 4 de la réjouissante et acidulée série « Lou « de Julien Neel, qui a du être jeune fille dans une autre vie tant sa vision de la jeune héroïne est pertinente. Et c’est bien fait ! Précipitez vous !
Et puis un Prix Révélation au dernier tome de la trilogie « Rosalie Blum« de Camille Jourdy qui vient aussi de recevoir le Grand Prix RTL de la BD, et dont on vous avait déjà dit tout le bien que l’on en pense (des personnages touchants dans une histoire gigogne et une narration à voix multiples. Virtuose et décalé) ; un prix de l’Audace à « Alpha… Direction« de l’allemand Jens Harder. Un superbe pavé de 300 pages (le premier d’une trilogie), ce qui n’est pas trop pour nous conter rien de moins que la création de l’univers et de la terre. Expérience cosmique, et dépaysement garanti.
Et n’oublions pas le Prix de la série au toujours jeune « Jérôme K. Jérôme Bloche« d’ Alain Dodier. Déjà le 21eme album pour une série qui ne cesse de s’améliorer et se renouveler… dans la continuité (références amusées au polar, héros ordinaire, histoire gentiment loufoque à l’ancrage de plus en plus social…)
Voilà! C’est terminé. Enfin non… un ultime conseil personnel :
En fait de meilleur album de l’année précipitez vous donc sur « Grasse carcasse » premier tome de « Blast« par Manu Larcenet : c’est intelligent, c’est intrigant, c’est graphiquement déstabilisant. Enfin bref c’est beau, émouvant et pas racoleur.
Eh be, quel reportage ! bravo même si j’ai beaucoup de lacunes en matière de BD, j’avoue que j’ai très envie de me rendre en pélerinage du côté de la Charente même en dehors du festival, histoire de découvrir ces lieux et qui sait de me convertir à ce genre littéraire haut en couleurs …
@Marie-Jeanne, tu nous programmes une sortie ?
Tout cela nous met en appétit, tu nous emmènes la prochaine fois Jean-François ?
Tu sais nous faire aimer la BD Jean-François ! et je découvre la bande annonce de Blast grâce au lien … assez sublime, un thème littérature, donne envie vraiment de lire cet album de manière urgente
Jean-François tu as du pain sur la planche pour nous présenter certaines des BD primées ou pas, lors des présentations de nouveautés. Ce qui me plaît dans tes articles, c’est que je t’entends plus que je ne te lis.
jean-françois ton article est passionnant. Complet. Il donne envie d’y aller. c’est une immersion dans ton séjour (dans cette ville) et dans les expos qui font connaitre la bd. Tu nous tiens au courant des nouveautés; MERCI !!!et peut etre que le reseau pourra un jour y aller … (et nous aussi)
Bel article aussi riche que l’est l’univers de la BD dans lequel tu nous entraînes une fois encore avec bonheur.
Je ne fais que confirmer, très bel article et très complet!Cela donne envie de se plonger dans les nouveautés.Je suis partante aussi pour aller y faire un tour , avec la DLP pourquoi pas! 😉
Panorama complet, écriture pleine de verve et d’humour où comme dit Christine on voit parler Jean-François, cet article est une bellle réussite, à l’image de ce dernier festival. Baru vaut vraiment le détour (surtout pour les dialogues et la vivacité du dessin de « L’Autoroute du soleil » qui m’avait conquis), quant à l’allemand Jens Harder, il mérite amplement ce prix, cette BD sans texte ou presque est vraiment prodigieuse et ambitieuse
C’est simple, je suis d’accord avec tous les commentaires, que dire d’autres ???
Je m’aligne sur le commentaire de Nino…
Bon ben j’ai encore pas tout retenu (y a de la matière !) mais je me dis qu’un article de Jean-François, ça vaut une formation(et avec l’humour en plus, ça fait même pas peur), alors on pourrait imaginer de programmer des stages via Chermedia (ça me semblerait plus facile à organiser qu’un pélerinage à Angoulème, non ?)
Moi qui rêve d’aller à Angoulême pour le festival, ca n’arrange pas mes affaires !! Super le reportage : et j’ai pris des notes concernant les lauréats et des idées de futures acquisitions ! Merci bcp.