Gyles Brandreth : « Oscar Wilde et le cadavre souriant »


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 » Voulez-vous connaître le grand drame de mon existence ? J’ai mis tout mon génie dans ma vie et seulement mon talent dans mon oeuvre. » (Oscar Wilde, 1854-1900).

« Quelle vie sensationnelle que celle d’Oscar Wilde, si pleine d’aventures extraordinaires ! Quelle aubaine pour les biographes du siècle prochain ! » (Max Bierbohm, 1872-1956)

Après « Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles », puis « Oscar Wilde et le jeu de la mort » dont l’intrigue se déroulait dans la capitale de S.M. la reine Victoria, reine d’Angleterre et impératrice des Indes, voici le petit dernier de Gyles Brandreth « Oscar Wilde et le cadavre souriant » dont l’ingéniosité et le brio n’ont rien à envier aux deux précédents.

Le roman est censé reproduire un manuscrit offert par Oscar Wilde, en guise de cadeau de Noël, en 1890, à son ami Arthur Conan Doyle ; rédigé par son ami et biographe Robert Sherard, il évoque fidèlement des événements qui se sont produits une dizaine d’années auparavant. Tel est en tout cas, le « pacte de lecture » que Brandreth nous propose. A charge pour Conan Doyle de découvrir, avant le dernier chapitre, la clé d’une énigme policière

Dans les romans de Brandreth, fin connaisseur de Wilde, tout n’est pas vrai, mais tout est vraisemblabe et l’intrigue suit de près la biographie, en particulier la triomphale tournée de conférences au cours de laquelle le dandy victorien initia, en 1882, les rudes  chercheurs d’or du Colorado aux raffinements de la Renaissance italienne.

Mais on ne reste aux Etats-Unis que le temps pour Wilde de faire la connaissance de deux monstres sacrés, la divine Sarah Berhardt et son rival masculin, Edmond La Grange, d’en ramener Washington,  son domestique noir et d’y rencontrer un étrange personnage aux yeux délavés « dont le sourire découvre les dents du bas ».

Au cours de la traversée, Marie-Antoinette, l’insupportable caniche de la non moins insupportable Liselotte La Grange, la mère d’Edmond La Grange, est retrouvée morte dans le sac de voyage d’Oscar Wilde, préalablement délesté de ses livres et rempli de terre. Farce macabre au dépens  de celui qui avait répondu, léonin, à son arrivée à New-York, aux douaniers médusés : « je n’ai rien d’autre à déclarer que mon génie ».

Installé à Paris, Wilde travaille avec La Grange à une traduction de Hamlet en vue d’une mise en scène qui promet d’être inoubliable, mais qui, à l’instar de la pièce elle-même, tourne à l’hécatombe : après le brave Washington, devenu l’habilleur attitré d’Edmond La Grange, retrouvé asphyxié et aussitôt remplacé par Robert Sherard, c’est au tour des « jumeaux indiens sang mêlés », Bernard et Agnès La Grange qui incarnent respectivement Hamlet et Ophélie ; la première est retrouvée noyée (comme il se doit) et le second périt carbonisé. Et pour achever la malédiction, Edmond La Grange (Claudius) se suicide dans sa loge. Il y a décidément quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Un acteur de la troupe, un instant soupçonné, et écroué par l’inspecteur français chargé de l’enquête est disculpé par Oscar Wilde (qui échappe entre temps à deux tentatives d’assassinat) et le mystère reste entier.

Ce n’est que dans les toutes dernières pages que Wilde mettra un peu d’ordre dans la pièce et  dévoilera la vérité tout entière à son ami Arthur Conan Doyle, ainsi qu’à  Robert Sherard, à la grande satisfaction du lecteur qui voit se dénouer un à un les fils de l’imbroglio. Rien ne manque aux ingrédients traditionnels de tout roman policier qui se respecte : un assassin (les crimes ont été déguisés en suicides), un commanditaire (non, ce n’est pas Sarah Bernardt !) et un (et même plusieurs) mobiles. Mais puisqu’il est entendu que le crime ne paye pas, les coupables ne resteront pas impunis.

L’intrigue promène le lecteur dans les endroits les plus pittoresques du Paris de l’époque : dans la salle des horreurs du musée Grévin, au milieu des fêtes délirantes de la villa de Sarah Bernardt parmi les pingouins, les sirènes et les fauves apprivoisés (tenue de soirée exigée), dans la « salle des morts » (haillons exigés), dans l’ambiance électrique du cabaret du Chat noir, dans les couloirs de la clinique du docteur Blanche à Passy… Un Paris où l’on croise, outre la flamboyante Sarah Bernardt, le bon docteur Blanche, son fils Jacques-Emile, fondateur de la célèbre Revue Blanche, le sulfureux Maurice Rollinat, incarnation de la décadence « fin de siècle », avec un détour par la prison de Reading à Londres pour une « simple visite ».

L’auteur ne résiste pas au plaisir de glisser aphorismes et traits d’esprit qui étaient, comme chacun sait, la spécialité de Wilde : « A Londres, je fais du surplace ; à Paris, je pourrais avancer à contre-courant. »… « Je veux goûter chacun des fruits de chacun des vergers du monde. »… « Je déclare que la presse est illisible et que la littérature n’est pas lue. Le temps des philistins est venu. »…  » Il ne sert à rien de lutter contre l’inévitable. Contre le vent d’est, la seule solution est de mettre son manteau. » Et celui-ci, mon préféré : « Un rêveur, c’est une personne qui ne peut trouver son chemin qu’à la lumière de la lune, sa punition est de découvrir l’aube avant tout le monde. »

Les romans de Gyles Brandreth nous consolent de ne pas avoir connu Oscar Wilde :  » – Si Epicure était venu à Paris, c’est au Pharamond qu’il aurait le plus vraisemblablement voulu dîner. J’y trouvai mon ami, seul et bien en vue, installé à une grande table ronde, tout au fond de la salle. Il portait un costume de laine peigné couleur café au lait et autour du cou un foulard de soie vert sauge. (En 1883, le café au lait et le vert sauge étaient ses deux couleurs préférées). Avec son visage poupin et rasé de frais, il paraissait merveilleusement jeune. En dépit du léger ridicule de ses boucles néroniennes soigneusement étudiées, son allure avait quelque chose de magnifique. Il se tenait très droit, contemplant d’un regard pensif un horizon imaginaire, bras écartés et coudes à peine appuyés sur la table, comme un enfant roi ayant grandi trop vite qui poserait pour son portrait, sceptre dans une main et globe dans l’autre. En l’espèce, sa main gauche tenait une montre gousset et reposait sur ce qui semblait être une boîte à biscuits aux motifs criards (elle contient les cendres du pauvre Washington). Dans sa main droite, il brandissait à la fois une cigarette allumée et un verre de vin jaune. »


(NB : « vin jaune », il ne s’agit pas du « vin jaune » fabriqué dans le Jura, c’est ainsi que Wilde appelait avec une certaine pertinence ce que nous appelons le « vin blanc »)

Gyles Brandreth n’ignore rien des goûts d’Oscar en matière de cuisine, de vins, de vêtements, de cigarettes, ni de son penchant, à cette époque-là pour l’absynthe. Loin du snob effeminé et superficiel, il dresse le portrait d’un gentleman à l’intelligence subtile, d’un ami loyal et attentionné, capable de profondeur et de compassion.

« Les lecteurs de ma série des enquêtes d’Oscar Wilde se posent souvent la même question : « Quelle est la part de vérité ? » Je leur réponds toujours : Tout est vrai. Enfin presque tout. En tout cas, beaucoup plus que vous ne l’imaginez. » Les amitiés d’Oscar Wilde avec Robert Sherard, Arthur Conan Doyle, l’ambassadeur George W. Palmer et l’actrice Sarah Bernardt sont bien connues. Ses rencontres avec Louisa May Alcott et P.T. Barnum ainsi que son intérêt pour les établissements pénitentiaires et les réformes sociales sont largement documentés, quoique moins célèbres. Il se trouvait bel et bien aux endroits où je le situe dans cette histoire – Leadville, New-York, Londres, Paris, Reading – aux dates correspondantes. W.M. Traquair fut réellement son valet lors de la tournée américaine en 1882. » (…)

(…) Voici une autre question que l’on me pose souvent : « Quelle biographie d’Oscar Wilde recommanderiez-vous ?  » Bien sûr, je préconiserais l’Oscar Wilde de Richard Ellmann (Gallimard, 1994), mais aussi magistrale que soit cette oeuvre, elle est truffée d’imprécisions, et sa lecture doit s’accompagner de celle d’Additions and Corrections to Richard Ellman’s Oscar Wilde, de Horst Schroeder (2002). Je citerais également, et cette fois sans réserve, l’Album Wilde (Le Rocher, 2000) de Meril Holland. Enfin, les deux livres qui, selon moi, permettent d’approcher au plus près le « vrai Oscar Wilde » sont The Complete Letters of Oscar Wilde (2000), et Fils d’Oscar Wilde, de Vyvyan Holland (Flammarion, 1955). »

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« Gyles Brandreth est un brillant touche-à-tout à l’excentricité so british, à la fois journaliste, producteur de théâtre, homme d’affaires, acteur… Inconditionnel d’Oscar Wilde, il a toujours vécu sous le signe du célèbre dandy. Grâce à sa connaissance profonde de l’oeuvre et de la vie du poète, il a su restituer le génie du personnage, dont les enquêtes connaissent un franc succès dans le monde.  » (troisième de couverture).

www.oscarwildemurdermysteries.com

Gyles Brandreth, « Oscar Wilde et le cadavre souriant », « Oscar Wilde and the Dead Man’s smile », traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Dupin (« Grands détectives », Gallimard, 10/18).

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