Hymne aux « zandicapés » à la sauce Fournier


Coup de coeur pour l’auteur français anticonformiste Jean-Louis Fournier, écrivain-humoriste (il a notamment commis voici quelque temps l’excellent ouvrage « Mon dernier cheveu noir » où il s’attaquait férocement au jeunisme ambiant tout en déprimant sur sa propre vieillesse !), réalisateur farfelu et amateur d’absurde (avec la série animée des années 70-80 « la Noiraude » et en tant que complice de Pierre Desproges avec « La Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède ») et lauréat du dernier Prix Fémina en novembre dernier, avec son récit autobiographique « Où on va, Papa ? » (Stock, 2008).

Osé, très osé, son pari de père « indigne » : choisir de faire rire les lecteurs en se moquant – tendrement – de sa double progéniture « anormale », à savoir ses deux fils handicapés (mental et physique) Mathieu et Thomas (dont l’un est décédé en choisissant d’aller « rejoindre son ballon là où l’on ne pourra pas le retrouver », clin d’oeil émouvant à son jeu favori – taper dans le ballon le plus loin possible et appeler quelqu’un à l’aide pour l’aider à le récupérer – qui lui permettait une communication bien minime avec son entourage).

L’humour (féroce) fut pour ce père deux fois meurtri une bouée de sauvetage, pour ne pas sombrer dans la folie et le désespoir, et je dois dire qu’on se régale de cette écriture malicieuse, bizarrement on ne culpabilise pas tant que ça de sourire à leurs malheurs, certaines journées furent parfois ponctuées de petits bonheurs habituels à toutes les familles d’ailleurs, c’est ce que l’auteur aujourd’hui septuagénaire se plaît à nous rappeler en refusant d’être mis, lui et ses enfants, dans une case à part…

Petits extraits de ce Prix littéraire amplement mérité (pour une fois !), loin de la littérature parisianniste et nombriliste habituelle :
« Mathieu fait souvent « vroum-vroum » avec sa bouche. Il se prend pour une automobile. Le pire, c’est quand il fait les Vingt-Quatre Heures du Mans. Qu’il roule toute la nuit sans pot d’échappement »… … … « J’ai parfois l’impression d’avoir laissé des traces, mais de celles qu’on laisse après avoir marché sur un parquet ciré avec des chaussures pleines de terre et qu’on se fait engueuler ».

Morceau choisi
« Thomas essaie de s’habiller tout seul. Il a déjà mis sa chemise, mais il ne sait pas la boutonner. Il est en train maintenant d’enfiler son pull-over. Il y a un trou à son pull-over. Il a choisi la difficulté, il s’est mis dans l’idée de l’enfiler en passant sa tête non pas par le col, comme l’aurait fait un enfant normalement constitué, mais par le trou. Ce n’est pas simple, le trou doit mesurer cinq centimètres. Ca dure longtemps. Il voit qu’on le regarde faire, et qu’on commence à rire. A chaque essai, il agrandit le trou, il ne se décourage pas, il en rajoute d’autant qu’il nous voit rire de plus en plus. Après dix bonnes minutes, il a réussi. Son visage radieux sort du pull, par le trou.
Le sketch était terminé. On a eu envie d’applaudir. »

« Thomas ne va plus être jaloux de son frère, il va avoir lui aussi un corset. Un impressionnant corset orthopédique, avec du métal chromé et du cuir. Lui aussi est en train de s’effondrer, de devenir bossu comme son frère. Bientôt, ils seront comme les petits vieux qui ont passé leur vie à ramasser des betteraves dans les champs.
Les corsets coûtent des fortunes, ils sont entièrement faits à la main, dans un atelier spécialisé à Paris, près de La Motte-Picquet, la Maison Leprêtre. Chaque année, on doit les amener à l’atelier prendre des mesures pour un nouveau corset parce qu’ils grandissent. Ils se laissent toujours faire docilement.
Quand on leur met le corset, ils ressemblent à des guerriers romains avec leur cuirasse ou à des personnages de bande dessinée de science-fiction, à cause du chrome qui brille.
Quand on les prend dans les bras, on a l’impression de tenir un robot. Une poupée en fer.
Le soir, on a besoin d’une clé à molette pour les déshabiller. Quand on leur retire leur cuirasse, on remarque, sur leur torse nu, des traces violettes que l’armature en métal a laissées, et on retrouve deux petits oiseaux déplumés qui tremblent » (source des citations : www.evene.fr).


A propos de stef18

Adjoint du patrimoine à la médiathèque de St-Florent-sur-Cher depuis 10 ans bientôt, je suis actuellement affecté à la section adultes (commandes de livres documentaires et BD ado-adultes, CD audio et DVD)

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

1 × = 4

0 commentaires sur “Hymne aux « zandicapés » à la sauce Fournier

  • Dominique Laganne

    Je viens de terminer la lecture de ce récit – roman, que j’ai moi aussi beaucoup apprécié.
    C’est un un livre qui réussit le pari d’être tout à la fois émouvant,sain et décapant. Une perle rare, quoi…

  • stef18

    Bonjour Dominique, ravi de voir qu’il t’a plu également ! Tu ne devrais pas être déçue par « Mon dernier cheveu noir » dans ce cas (à moins que tu ne l’aies déjà lu aussi ?), @ +

  • chris

    J’ai lu çà avec un certain malaise, c’est bien vrai que l’humour est la politesse du désespoir. On devine « ce qu’il faut de sanglots » pour accoucher d’un tel livre…

  • stef18

    Oui, il dit lui-même dans l’interview qu’il est un grand pessimiste, un « mélancolique gai », comme beaucoup d’humoristes qui dans la vie sont plutôt tristes, ou trop lucides ???

  • Elisabeth

    J’ai enfin pu lire ce livre : depuis que la bibliothèque l’a acheté, il est toujours sorti !
    Une double impression : tout d’abord j’ai été entraînée par la plume facile de l’auteur, la vivacité du récit, l’humour féroce et décapant… Ensuite, j’ai ressenti un certain malaise, comme Chris, mais peut-être pas pour les mêmes raisons : les enfants me semblent réduits à des pantins à « la tête pleine de paille ». Sont-ils à ce point incapables de montrer quelque affection ? J’ai voulu en savoir plus et je suis tombée sur le site de la maman et sur le blog d’Eric Van Hamme .
    Ce serait donc plus un roman qu’un récit !
    Un dernier point : je n’ai pas douté un seul instant de l’amour que l’auteur a porté à ses fils, surtout après avoir lu que pour lui la mort d’un enfant handicapé est la même chose que celle d’un enfant normal.

  • stef18

    Merci Elisabeth pour cette info de taille en effet, difficile du coup de démêler le faux du vrai… C’est vrai qu’au niveau des emprunts c’est un grand succès en bibliothèques, ici comme ailleurs, c’est sans doute à cause de l’humour et parce que les lecteurs se sentent plus concernés que lorsqu’un auteur se regarde le nombril de manière ennuyeuse, je pense à certains auteurs lauréats de Prix Goncourt – du style F.W. ou J.J.S – que je ne nommerai pas à part leurs initiales 🙂