Pour continuer cette journée, Lucille Repessé, bibliothécaire, et Mathilde Servet, conservateur des bibliothèques, nous font rêver à un avenir devenu déjà réalité dans certains pays comme les Pays Bas ou l’Angleterre.
44, 46, 48, 54, 56, 58 ……
Que pourraient évoquer cette suite de nombres ? En lien direct avec les bibliothèques de lecture publique…
Il s’agit ni plus, ni moins des heures d’ouverture des bibliothèques des Pays-Bas . Stupeur dans la salle : comment est-ce possible ?
Dans le cadre de son master, Lucille Repessé fait un voyage d’études aux Pays-Bas. C’est l’occasion pour elle de découvrir des bibliothèques bien différentes de ce nous connaissons.
L’OBA d’Amsterdam, la bibliothèque d’Heerhugowaard, la bibliothèque de Rotterdam, la DOK de Delft, la bibliothèque d’Amstelveen et la bibliothèque de La Haye sont des lieux ouverts dans lesquels elle nous fait pénétrer.
Et comment ça marche ?
Les bibliothèques hollandaises dépendent des collectivités locales et disposent d’autonomie sur certains plans comme le recrutement du personnel . Pour la plupart, elles fonctionnent en réseau, ce qui leur permet de créer des outils destinés à faciliter les tâches quotidiennes. Le prêt inter bibliothèques est chose courante. Les politiques tarifaires sont uniformisées et un grand nombres de partenariats existent avec le secteur public comme avec le secteur privé .Sur le plan du management, l’emprunt de techniques et d’usages au secteur privé est flagrant (uniformes pour identification du personnel, spécialisation des agents , rentabilisation du temps pour une meilleure efficacité auprès des usagers, espaces internes en open space organisés pour favoriser les échanges et la réflexion, développement de compétences spécifiques ).
Autre particularité, le financement. En plus, du budget attribué par la collectivité, les bibliothèques disposent de ressources propres engendrées par certains services présents dans l’établissement : des cafés, des restaurants, participation financière des usagers lors des animations, inscriptions payantes avec des tarifs différenciés selon les services choisis, prêt payant, par exemple pour les nouveautés, location de salles. On constate également un recours très important au mécénat.
Les collections sont éclectiques et adaptées aux besoins pressentis de la population de la ville concernée. L’accent est porté sur une offre multimédia abondante (consoles de jeux, tablettes, …). La technologie de l’information et de la communication est mise en avant avec la mise à disposition de nombreux ordinateurs avec, pour chacun, des usages différents . De nombreux services autres ont été proposés : mise en place d’artothèques, mise à disposition d’espace café, de restaurants, organisation d’ateliers en tous genres, complémentaires de l’offre documentaire.
La bibliothèque devient alors aussi un lieu de loisirs , il donc naturel d’y trouver des jeux, des espaces ludiques, des aménagements soignés voire gadgétisés, des espaces plus intimes où s’isoler le temps d’une lecture, d’une écoute. L’établissement est mis en scène tant sur le plan aménagement intérieur (avec des univers colorés très design, des espaces conçus « comme à la maison ») que sur le plan architectural (jeux de lumières visibles de l’extérieur, emplacement du bâtiment,…).
La communication, quant à elle, ressemble à s’y méprendre à des techniques marchandes : présence d’écran faisant la promotion des services et des animations à venir, investissement de sociétés privées qui font figurer leurs publicités sur les tickets de retour, annonces dans les journaux sous forme de partenariats avec la presse.
Quelle est la finalité de toute cette énergie déployée ? Mettre l’usager au centre de la bibliothèque.
Il doit pouvoir être autonome. Les bibliothécaires doivent s’adapter aux pratiques des usagers et surtout travailler sur le conseil et l’information.
Au service de sa majesté l’usager : les bibliothèques doivent être animées non pas par leur amour pour les livres mais par leur amour pour les usagers (Peter Jansen, membre de l’équipe de management d’Amstelveen).
Des établissements qui ouvrent la voie vers un nouveau modèle de bibliothèque : la bibliothèque troisième lieu dans le sens d’un lieu de partage, de convivialité, d’échanges, de rencontre et surtout d’un lieu où l’usager se sent comme chez lui.
Mathilde Servet, ayant fait de la notion de troisième lieu le thème de son mémoire, nous présente à son tour, des bibliothèques « différentes « .
Suite à de profonds changements économiques, les bibliothèques ont multiplié les enquêtes à la recherche de leur légitimité dans la société. Ce qui provoque des changements en profondeur et notamment le basculement vers un autre modèle. La bibliothèque devient un espace de vie communautaire informel ( Robert Putman dit même que la bibliothèque doit fonctionner comme un centre communautaire).
Ce qui met en avant qu’avant tout projet, les bibliothécaires doivent avoir une bonne connaissance des besoins du public pour que chacun s’y reconnaissent et ait envie d’apprendre à vivre avec les autres (exemple les bibliothèques des Pays-Bas).
Sur le plan architectural, l’ancrage physique doit être fort, tout en travaillant sur une désacralisation du lieu. Sur le plan de l’aménagement, la pratique la plus répandue est le zoning (partitions des espaces en fonction des usages).
L’accent est mis aussi sur l’atmosphère afin de favoriser la sociabilité .
Les moments culturels, du type animation, deviennent des expériences excitantes, ludiques qui font sens à un niveau émotionnel et intellectuel (produire une expérience « Wow »).
La bibliothèque devient un catalyseur de capital social avec des variations multiples « du vivre ensemble », une sorte de « Facebook » en trois D. Exemple : le devise de la DOK de Delt « notre meilleure collection, c’est les gens » .
Le rôle de la bibliothèque prend une tournure plus politique avec une porosité accrue entre l’intérieur et l’extérieur.
Au Royaume-Uni, ce sont les Idea stores qui remplissent ce rôle avec une identité très forte liée à la conception du projet. C’est la première chaînes de bibliothèques au monde, qui au-delà du côté marketing a développé son travail sur la cohésion sociale des offres mises à disposition du public.
Quelles sont les limites de tels modèles ?
La première semble le risque de confusion des genres : la bibliothèque n’est plus l’activité principale du lieu. Une autre est de savoir jusqu’où contenter l’usager, « needs or reads ». Il faut donc, toujours se poser la question du sens des actions proposées pour les usagers afin d’être à même d’identifier les besoins réels.
La bibliothèque n’a-t-elle pas toujours été ce troisième lieu évoqué si souvent ? Lieu de lien social, lieu de rencontres, lieu d’échanges .
Et à quel moment peut-on considérer quelle a trouvé sa place dans la communauté ? De qui dépend le fait qu’à un moment ou un autre, la bibliothèque se modifie ? Nous , bibliothécaires, devons être acteurs de ces changements, même si nous savons qu’ils ne peuvent intervenir sans les élus locaux, des politiques culturelles fortes.
Des petites graines à semer pour que les bibliothèques deviennent des jardins extraordinaires !
Faisant écho à notre journée de rencontre, Florian Delorme consacre sur France Culture une série de quatre émissions intitulée « A pas feutrés dans les bibliothèques du monde ». Il y est entre autre question de l’évolution des bibliothèques. On peut écouter ou réécouter les émissions déjà diffusées en cliquant sur ce lien :
http://www.franceculture.fr/podcast/4485897