Un projet conduit, sur une proposition d’Emmetrop, par Rémi Checchetto et Denis Tricot – à suivre sur Chermedia au fil des semaines et jusqu’au 20 mai…
Comme un uppercut, plongeons dans le texte de Rémi Checchetto (à paraître fin avril 2010)
J’ai la totalité de mon visage dans mon poing, j’ai l’ensemble de ma pensée sous mes doigts, j’ai ma belle beauté dans ma paume, les lignes de ma main sont exactement les courbes de mon cerveau, plus de distance entre les deux, ma pensée coule de ma main, pas besoin de la capter, nulle nécessité de la muer en gestes, cela se produit, possession, je suis issu de la haute technologie, je suis une œuvre d’art qui cogne au quatre centième de seconde et soudain la vie immédiate, la vie comble, le grand rire dans le jet des poings qui connaissent l’immédiateté de la vie qui abonde dans un seul battement de joie, soudain l’inédit est là, le jamais fait jamais vu et entendu surgit, grâce de l’instant qui réunit toutes les réussites de la vie réussie, convergences, toutes les convergences dans l’œuf nouveau sorti des poings, 1960, 29 octobre victoire contre Tunney Hunsaker 6ème round aux points, 27 décembre victoire contre Herb Siler 4ème round K.-O., float like a butterfly, je vole comme un papillon, papillon je suis, ma danse ? course vive et vite en arrière afin de rejoindre l’enfant volé de bicyclette, toujours l’amener sur le ring, et c’est lui qui dès lors danse, c’est qu’il est toujours lié par le chagrin, toujours dans le froid de l’effroi, c’est qu’il a toujours les mains vidées du guidon, les jambes diminuées de vitesse et d’espaces, la vie atrophiée du pas pouvoir entrer dans le bus des blancs becs, danse enfant volé de bicyclette, danse puisque jamais ta cicatrice au cœur ne se refermera, danse toi qui voit le monde s’effacer, toi dont le sang gelé te fait disparaître de tes chairs, danse de douleur première, danse avant arrière, danse droite gauche, danse diagonales, danse enfant volé de bicyclette, vois maintenant la douleur en croix sur le feutre du ring, vois comme son visage blanchit, comme elle se dit qu’elle n’aurait jamais du naître, comme elle voit le monde s’effacer, le monde, tout le monde blanchir de la blancheur de son visage, sting like a bee, je pique comme une guêpe, guêpe je suis, tchic-tic-whoo / tchic-tic-whoo-whoo / gauche en cible / invincible gauche / gauche invisible / droit armé / gauche encore endimanché du coup qui l’autre au tapis / encore étoiles au gauche / toujours scintillements au gauche / rires du gauche / droit ne désarme pas / yeux suivent la chute de l’autre / l’homme diminué / déjà fin pour lui / droit s’amollissant doucement / rentrant ses dents / lentement s’attendrissant / se baissant / gauche allant visage pour sueur des yeux / yeux assistant au comptage / gauche déjà en ascension / déjà attiré vers le haut / illuminant le haut / le haut tout en haut médaille / six compté / droit impatient de monter / gauche arcades / sept compté / yeux déjà allant foule / huit / droit montant / rejoignant gauche haut tout en haut médaille / yeux tout à la foule / yeux full de foule, la guêpe c’est moi, le papillon c’est moi, la danse c’est moi, je danse quand je suis l’homme meurtri, quand la blessure ne me quitte plus, quand seule l’angoisse que crée la blessure circule dans mes poumons, quand la gueule ouverte de la nuit est prête à me gober afin que cesse mon temps d’épuisement, quand ma chair est au-dessus de ma peau, quand ma peau crie, lorsque volé de bicyclette je rampe et lape et ronge de la boue juste en dessous des charognards, des juges, des foudres, des étincelles, des foules grosses, des yeux moqueurs, des doigts hâbleurs qui je à l’index, qui je au cancer, à la croix et à la bannière, qui je jeté, je gelé, je dans la, je en un, je dans plus, je pas, hors de, out je, je danse quand mes bras partent en croix dans ma tête, quand ma tête se penche vers le tapis ma croix, I am the greatest, dans ma main droite la force, dans ma main gauche la force, c’est que le plus fort je suis, l’invincible je suis, demeure et demeurerai, butterfly je suis, bee I am, persiste et signe et persisterai signerai, agilité des agilités, je suis, vitesse des vitesses, tant vite vitesse qu’œil ne peut voir, pellicule ne peut enregistrer, invincible I am, élan des élans je suis, œil toujours exactement ouvert à l’endroit du coup porté, œil sachant jours et mois à l’avance où jab gauche ira, où crochet droit atteindra, où paroles percuteront, c’est moi qui lessive le monde, de moi que part le grand rinçage des cartes, le grand délestage du poids des temps qui permet aux enfants et aux enfants, aux femmes et aux femmes, aux hommes et aux hommes de s’alléger comme en eau d’été, le passé n’est pas encore assez formolé, le futur toujours pas assez formulé, hier est toujours trop présent, le sac des jours anciens est toujours trop pesant, c’est moi qui mettrai au tapis les jougs, moi qui jetterai les fatigues dans les bennes à ordures, qui réglerai le compte à ce qui fore et force les têtes des enfants et des enfants, des femmes et des femmes, des hommes et des hommes quand noire est leur peau, 61, victoire contre Tony Esperti, Jim Robinson ; Donnie Fleeman, Lamar Clark, Duke Sabedong, Alonzo Johnson, Alex Miteff, Willie Besmanoff, the greatest, bee, butterfly, et lorsque ma sueur n’en finit de s’épancher j’ai grand honneur d’être cet homme-là qui sue, oh no ! ce n’est pas la sueur de l’oncle Tom, pas celle qui a précisément le goût de ses larmes, pas celle qui tombant à terre donne lieu à un paysage stérile, bonjour messieurs tellement fatalement un, tellement fatalement moi-même, je me connais sur le bout des doigts, je vous connais sur le bout des doigts, ma connaissance de moi-même vous rend tellement fatalement compréhensibles, tellement fatalement prévisibles, je me sais, je vous sais donc, de m’être pris dans les mailles de mes filets vous met dans les mêmes mailles, the greatest I am, je suis là pour mille ans, je suis là pour dix mille cent mille ans, j’ai dix mille cent mille mille ans devant moi, je le sens, je le sais, je suis immense, universel, illimité, absolu, on me voit du haut de l’Empire State Building, on me voit du haut de Notre Dame, du haut du Kilimandjaro, du haut de l’Everest quand l’Everest se dresse sur la pointe de ses pieds, on me voit en avion, les satellites me voient, les satellites me filment, tous les films des satellites sont peints image par image en étrusque, sont peints en japonais, sont peints en mongole, chinois, cyrillique et tutti quanti, sont peints en chapelle Sixtine, Michel Ange a repris du service, voyez comme il s’applique, voyez comme il tire la langue tout en concentration, génie, grâce, on me voit du fin fond de l’histoire, du fin fond des grottes et des huttes, on me voit du haut des menhirs, du haut du cheval de Troie et du cheval des indiens, du haut des bouteilles de Coca, les Beatles me voient, Mandela me voit, le papillon me voit, la ménagère de plus de cinquante ans me voit, Hollywood me voit, les blancs assis en bus en rang d’oignon me voient, le voleur de bicyclette me voit.
Percutant !
Ce texte m’a sonné
Vivement la parution
Hâte d’être en avril