A l’occasion de l’inauguration du Musée de la Résistance et de la Déportation, le théâtre du Mac-Nab a été « occupé » par 5 acteurs de la Résistance : Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Leonard Fitch Ratcliff, Abel Beguin, Louis Duroir, Jean Guyader.
Un public nombreux composé de collégiens et de lycéens a été accueilli par Nicolas Sansu, vice-président du Conseil Général et maire de la Ville de Vierzon.
Celui-ci a souligné l’importance stratégique de la position géographique de cette ville coupée en deux par la ligne de démarcation . « Comment à 20 ans décide-t-on de s’engager pour promouvoir les valeurs de la République ? : par l’engagement et le rassemblement ».
Alain Leclerc, archiviste à la Ville de Vierzon, a présenté les intervenants et resitué le contexte local de cette période trouble.
Il a ensuite posé la question : « Comment avez-vous vécu l’entrée en guerre et l’année 1940 ? »
Jean-Louis Crémieux Brilhac, élève à Saint-Cyr, a une grande confiance dans l’armée française supposée
invincible. Il déchante en découvrant l’artillerie et les avions allemands, en particulier les stukas qui piquaient toutes sirènes hurlantes.
Sir Leonard Fitch Ratcliff est pilote de la Royal Air Force, et il s’engage dans la lutte contre le nazisme et pour la défense de la liberté en Europe. Vierzon-Ville était connue en Angleterre pour être un noyau de la Résistance.
Abel Beguin, après avoir subi deux bombardements près de son usine, s’engage en aidant plusieurs personnes à franchir la ligne de démarcation.
A Quimper, Jean Guyader a 13 ans lorsqu’il voit passer l’armée allemande. Il est impressionné par sa discipline et son équipement. Il est révolté par les menaces de représailles placardées à la gare de Nantes : 100 otages menacés d’être fusillés suite à l’assassinat d’un officier allemand.
Après avoir été le témoin de l’entrée de l’armée allemande dans Vierzon et des affrontements qui s’ensuivent avec les tirailleurs sénégalais, Louis Duroir assiste au dynamitage de plusieurs ponts et voit s’installer la ligne de démarcation. C’est alors qu’on lui demande d’être passeur.
Une seconde question portait sur leur engagement et leurs faits de résistance.
Jean-Louis Crémieux-Brilhac est fait prisonnier en 1940, puis interné en Poméranie dans un Oflag (camp d’officiers). Il régnait un « sentiment d’aplatissement » parmi les détenus. Il réussit à s’évader le 4 janvier 1941 avec un codétenu, après plusieurs mois de préparation : il leur aura fallu se procurer vêtements civils, brassards, laissez-passer, valise, grâce à la complicité de travailleurs polonais. Arrivés en Lituanie, soupçonnés d’espionnage par les soviétiques, ils sont emprisonnés et transférés à Moscou. Deux mois après l’entrée en guerre de l’URSS contre l’Allemagne nazie, ils sont remis aux forces canadiennes qui en leur honneur entonnent la Marseillaise (moment de forte émotion) et les conduisent en Angleterre. Jean-Louis Crémieux-Brilhac s’engage aux côtés du Général de Gaulle. Il est l’une des 15 voix de Radio Londres. Il souligne l’importance des officiers régionaux d’opération, entre autre Pierre Rateau qui participe au sabotage de l’antenne d’Allouis, ce qui a permis aux français d’écouter Radio Londres sans brouillage pendant une dizaine de jours.
Et c’est avec une émotion non dissimulée qu’il nous chante une chanson qu’il a composée en 1941.
Abel Beguin
a raconté l’un des franchissements périlleux au cours duquel il échappe de peu à la Gestapo. Plus tard, il rejoint un maquis dans la Creuse.
Louis Duroir travaille à la Précision Moderne, future Denison, une usine qui fabrique de l’armement pour les Allemands. Avec quelques camarades, il se livre à des actes de sabotage afin de ralentir le plus possible la production : coupures d’électricité, fabrication de pièces défectueuses, création d’une association sportive pour éviter le travail du dimanche lorsque celui-ci est instauré. Il va dans les maquis de la région, et, au moment de la Libération de Vierzon, c’est lui qui est chargé de guider les FFI.
Sir Leonard Fitch Ratcliff dernier représentant de la Special Opérations Executive accomplit de nombreuses missions en Europe et en France. Entre autre, il assure le transport d’agents et de résistants.
Deux escadrons anglais étaient chargés d’aider la Résistance dans tous les pays d’Europe, soit deux cents hommes.
Au total, il y eut en deux ans six cents tués, ce qui représente trois fois l’effectif de ces deux escadrons.
Jean Guyader fait partie d’un important maquis dans le Morbihan, puis il rejoint à Paris le colonel Fabien avec lequel il participe à la Libération de l’Alsace. Après la mort de celui-ci et d’une partie de son état-major à Habsheim, le maréchal De Lattre de Tassigny prend en charge le groupe, franchit le Rhin et passe en Forêt Noire. C’est là, en essayant de traverser une autoroute, que Jean Guyader perdra 27 de ses camarades.
A plusieurs reprises au cours de la matinée, Jean-Louis Crémieux Brilhac souligne le rôle des aviateurs des S.O.E. : ils ont d’abord effectué des parachutages (matériel, 1800 agents ou résistants), puis, avec leurs petits Lysander ou leurs bombardiers Hudson, ils ont effectué 324 atterrissages, dont 217 réussis, ont déposé 417 personnes et en ont remmené 635. Tous n’étaient pas forcément anglais, et il cite l’exemple du pilote français Livry-Level, qui s’est « rajeuni » pour pouvoir s’engager. Il insiste plusieurs fois également sur la grande gratitude que nous leur devons.
Questions des jeunes :
« Est-ce que les avions anglais ont transporté des prisonniers allemands ? »
Sir Leonard Fitch Ratcliff : Oui, bien sûr. Mais nous ne savions jamais quelles personnes nous devions transporter. Nous le découvrions à notre arrivée. Pour certaines missions, nous employions des avions qui avaient le même nombre de moteurs que les avions allemands pour éviter de nous faire repérer.
« Combien de médailles avez-vous et que représentent-elles ? »
Sir Leonard Fitch Ratcliff : « I’ll try to remember (je vais essayer de me souvenir (rire) Il y a la Légion d’Honneur, la Croix de guerre avec palme, la plus haute distinction militaire anglaise, trois médailles de l’aviation anglaise (une en tant que combattant, deux comme formateur)… »
« Avec le temps, ne regrettez-vous pas vos choix ? »
Jean-Louis Crémieux-Brilhac. « Non seulement je ne regrette pas, mais la France libre, c’était la plus belle partie de ma vie. La France Libre, c’était une passion ! » Et il souligne la jeunesse de nombre de ceux qui avaient rejoint le général De Gaulle ; il a même fallu renvoyer à leurs études ceux qui avaient moins de dix-sept ans !
Les collégiens et les lycéens présents nous ont semblé extrêmement réceptifs aux récits détaillés des souvenirs des intervenants, frustrés même lorsque certains d’entre eux ont dû s’interrompre. Et les questions qu’ils ont posées concernaient des points très précis. C’est le vécu de chacun que visiblement ils voulaient connaître. Dommage que cette rencontre ait été si courte : il y avait encore tant à raconter !
Peut-être aussi ces jeunes se sont-ils posé la même question que nous : qu’aurions-nous fait si nous avions vécu à cette époque ?
[ article écrit par Elisabeth, Marie-Jeanne, Véronique, Nino, Christian, Boris, Dominique, Kathie; les photographies sont de Nino et Christian, Véronique a coordonné, mis au propre et enrichi le texte de nombreux liens]