Le nouveau roman d’Olivier Bordaçarre – à paraître chez Fayard 1


« Par la fêlure d’une canalisation ruinée suintait une bouillasse de rouille froide qui lui dégoulinait sur la nuque. Son crâne pendait mollement, menton rentré dans la poitrine. Sa frange en bataille, un rideau délavé. Des gouttes de sang se détachaient de l’extrémité de son nez fracassé, une rouge pour deux croches, imbibaient le coton de sa marinière jaune et blanche, élargissant à chaque impact l’auréole luisante qui lui poissait le ventre. Un épais bâillon de scotch d’emballage lui soustrayait un tiers du visage. Bras relevés en croix, poignets strictement liés au tuyau, jambes écartées et pieds en dedans, le corps inanimé dessinait dans la pénombre des vestiaires la silhouette christique d’une jeune femme amochée.
L’homme, à la droite du corps en vrac, tentait de contenir un mélange envahissant de panique et de vertige, la main gauche plaquée sur le mur décrépi, et lardait de coups de pieds nerveux une des cuisses inertes de sa proie.? Tu vas te réveiller, espèce de pute bronzée ! répéta-t-il, mâchoires serrées, d’une voix maquillée de sang-froid.

Mais la jeune femme ignorait effrontément les ordres.

L’homme abandonna sa position faussement désinvolte pour quelques pas impatients dans la poussière et les débris plâtreux du plafond. Autour de lui se désagrégeaient les vestiges moites de la piscine municipale. Paniers fendus au sol, éparpillement de bracelets numérotés, carcasses d’une caisse enregistreuse et d’un distributeur de friandises, panneaux d’informations descellés, néons crevés. Ça puait encore le chlore sous l’urine de chat.

? Crois pas que… que je vais tomber dans… ton piège, là… ton cinoche… Connasse ! Tu vas bien profiter, tu vas voir… salopes dans ton genre… tu vois, si… si je me… me retenais pas… je te… pisserais dessus… grinça-t-il en venant presser son poing contre ses incisives, l’idée de cet acte excédant son style et ses capacités.

Il déambula dans l’espace interdit au public et mollement éclairé par les deux Velux d’où parvenaient les faibles lueurs du dernier réverbère de la ville.

? On est bien, là… tranquille…. Qui viendrait sauter dans le bassin vide à deux heures du matin ? Maintenant c’est au centre balnéo-ludique de mes couilles que tu passes tes journées à bronzer, hein ? Pourtant la petite piscine à l’ancienne, ça avait son charme… la gentille dame donnait un panier vide, on lui rendait plein… tu te souviens ? T’entends ?

Dans un renfoncement, sous un amas de planches et de ceintures à flotteurs, il dénicha un seau rempli d’une eau croupie peu ragoûtante.

? Et un seau de flotte dans la gueule, ça te réveille ? dit-il en s’exécutant.

En effet, la jeune femme, plongée dans l’inconscience depuis le coup qu’elle avait reçu en pleine face, émergea instantanément de sa léthargie et prit une inspiration nasale aussi douloureuse que profonde comme pour se libérer d’une apnée limite. Ses lèvres soudées, compressées contre ses dents par le bâillon, n’offrirent aucun passage à ce que son organisme voulait expulser. Pendant que le lourd caillot de sang cherchait à emprunter la voie des sinus, elle déposa sur la figure crispée de l’homme un regard d’effroi. Des prières et des cris traversèrent son esprit. Le caillot fut éjecté par les narines. Sa respiration fonctionna moins péniblement. »


A propos de Christine Perrichon

Les autres... Mes copains d'école... Eux, ils jouaient aux pompiers, à l'école, au docteur... Moi ? A la bibliothécaire : j'avais même fait des fiches dans mes livres pour pouvoir les prêter... Ajoutez à ça d'avoir été pendant longtemps l'une des plus jeunes lectrices de la bibliothèque d'O. Et, chaque mercredi : " Quel est ton numéro de carte ? - 2552 - Mais non, tu te trompes, tu es trop petite pour avoir ce numéro là (les enfants de mon âge avaient un numéro supérieur à 4000)" Et puis, on ne pouvait emprunter des romans que si on empruntait des documentaires... C'est comme ça que j'ai lu toutes les biographies des peintres, musiciens, sculpteurs et même aviateurs ou chercheurs... Au moins, ça me racontait la vie ! Et je me disais : " Si j'étais bibliothécaire... je laisserais les enfants choisir ce qu'ils veulent lire..." Alors, quelques années plus tard, face au grand saut dans la vie professionnelle, comme une évidence : je serai BIBLIOTHECAIRE !!! Et depuis plus de 20 ans, de bibliothèques municipales en bibliothèques départementales, mon enthousiasme est intact : - Quand les cartons de livres commandés arrivent, c'est chaque fois un peu noël... - Quand je peux échanger sur les livres ou les CD que je viens de découvrir, c'est chaque fois un moment de bonheur... - Quand les outils numériques viennent bouleverser nos pratiques, c'est la plongée excitante vers l'inconnu... Une nouvelle aventure s'ouvre maintenant ! Chermedia, notre plateforme d'échanges et de partages

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