Du 18 novembre 2011 au 14 janvier 2012, la médiathèque de Bourges organisait un concours de nouvelles ouvert à tous. Le 31 mars, étaient dévoilés les lauréats qui ont accepté que leur texte soit publié ici. Merci à eux de nous permettre de les découvrir !
Voici le 3ème prix dans la catégorie des 13-17 ans :
Nightmare
Lucile VRIGNAUD
« Il est temps que je te parle, je pense. T’es parti, tu m’as dit tout ce que tu voulais me dire, mais tu m’as pas laissé parler. Pourtant j’en avais des choses à te dire tu sais. Des trucs débiles pour te retenir près de moi. Des mots super clichés, mais tellement sincères.
Par exemple que je t’aimais plus que tout, que lorsqu’on disait le mot « bonheur » je pensais à toi. Que lorsqu’on me demandait ce que je voulais faire plus tard, j’en savais rien, je savais juste que je voulais être avec toi. Que lorsqu’on me demandait une description de mon « idéal masculin » je te décrivais. Ouais, je crois qu’on peut dire que j’étais totalement et irrémédiablement amoureuse de toi. Et t’es parti.
Tu t’imagines quoi ? Que lorsque t’es parti, tout est resté comme avant ? Que tout a parfaitement continué sans toi ?
Quelqu’un a dit, « un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ». Je suis d’accord. Tu quittes son regard et tout s’écroule. Tu perds quelqu’un et tout te parait étrangement terne, sombre… Inutile. Parce qu’il n’est plus là. Parce que sa présence est absente, son odeur un souvenir, ses yeux une dernière image du temps où ils passaient des heures à se regarder, sans se lâcher, jusqu’à ce que l’un d’entre eux perde.
Des mots… Juste des mots. Des lettres alignées, de simples dessins qui pourraient être incompréhensibles, mais à qui on a attribué un sens, un son, et qui peuvent vous faire rire, sourire, pleurer. Des mots. C’est tout ce que tu m’as dit. Ces mots, dans un autre sens, un autre contexte, auraient pu me faire rire, mais tu as choisi le seul sens qui pouvait me détruire.
« Déménagement… Angleterre… Distance… Impossible… Adieu. »
Pas joyeux hein ? Peut-être que pour toi, ceci n’est plus qu’un lointain souvenir, mais pour moi, tout est encore parfaitement clair. Tu passais des heures à tenter de me faire retenir, les dates de Napoléon ou les capitales des pays d’Europe en vain, mais là, en une minute, j’ai retenu tout ce que tu as pu me dire. Tes mots mais aussi toi. Ta façon d’être à cet instant, tes yeux anormalement éteints, ton sourire absent, ta main dans tes cheveux sous la nervosité, ta veste en jean horrible, ton tee-shirt « America », tes chaussures trouées et affreuses. Ouais t’es pas parfait c’est sûr. T’as une voix affreuse, un rire pourri, des mimiques stressantes. Mais c’est toi. Toi et tes défauts, mais surtout tes qualités. Ton sourire, tes yeux, ta manière de me prendre dans tes bras, de me comprendre sans user de la parole. Benjamin et Carter. Carter et Benjamin. On était fait pour être ensemble, tout le monde nous le répétait. Je l’avoue je n’étais bien que dans tes bras. Cliché hein ? Je suis d’accord. Et mieux que quiconque, tu sais que j’ai horreur de ça ; moi qui suis toujours la première à rigoler, devant les films « So American » avec pleins de roses et de belles choses, tu aurais pu me faire vivre là-bas. Parce que c’était toi. T’aurais pu me faire une demande en mariage à genou, avec une grosse bague qui brille, la nuit à Paris devant la Tour Eiffel, comme dans ces films, j’aurai dit oui. Parce que c’était toi. On aurait pu s’embrasser sous la pluie, j’aurai trouvé ça adorable. J’étais plus moi-même avec toi. J’étais mieux. Je me sentais jolie, forte, prête à affronter le monde. Avec toi à mes côtés, je me sentais invincible. Mais que si t’étais là. Toute seule, je tournais en rond. En cours j’avais que toi en tête. Je t’imaginais découvrant l’Amérique, ou écrivant les Misérables. Débile hein ? Je ne te le fais pas dire. Mais t’étais tellement important à mes yeux. T’étais mon monde. Et t’es parti. Triste ? Je sais. J’ai un trou noir après le passage du parc ou tu m’as annoncé ton départ. Après ça, je me suis sentie vidée… Détruite…
Comme après un électrochoc. Avec une brûlure affreuse dans la poitrine qui te détruit de l’intérieur. Un retour à la réalité. Des pics au cœur, qui t’arrachent des cris de souffrance et de douleur, à chaque inspiration. Des montagnes russes dans le ventre, des explosions dans la tête, tes paroles qui se répétaient encore et encore dans mon crâne, dans un brouhaha impossible. Des tremblements dans tout le corps. Un cauchemar.
J’ai attendu après. J’espérais que tu reviendrais en pleurant en me disant que t’avais fait la plus grosse bêtise de ta vie en me laissant, que tu pouvais pas m’abandonner parce que j’étais LA fille, et que tu m’aimais. Tu me l’aurais répété encore et encore au creux de l’oreille pendant des heures et tu m’aurais embrassé comme si ta vie en dépendait. Mais tu n’es pas revenu. Et j’ai tout perdu.
J’étais déboussolée. Mon corps était en parfait état de marche, mais mon cœur était en miette, et mon cerveau me rendait folle à me repasser des images de toi. De nous.
Autour de moi aussi ça s’est dégradé. Apparemment je n’étais pas la seule à refuser ton départ. Il a plu pendant des jours après ton départ. Coïncidence ? Peut-être. Mon monde étais gris, terne, sans utilité. Parce que t’étais pas là. T’étais ma source de bonheur, mais t’es parti, et tout s’est effondré. T’étais la base de mon bonheur. Et on n’enlève jamais la base d’un château de cartes, quand on veut qu’il tienne. Tu m’appelais Soleil, mais en vérité je ne brillais qu’avec toi. Que pour toi.
Pendant des semaines, je ne sortais plus, ne parlais plus à personne, je me contentais de sourire, ça leur suffisait à ces hypocrites appelés aussi « amis » qui sont censés te connaître mieux que personne. J’ai jamais eu d’aussi bonnes notes parce que les études étaient le seul moyen de m’occuper l’esprit. Je suis restée enfermée dans ma chambre pendant des semaines. Même ma mère a fini par s’inquiéter pour moi c’est dire ! Mais en tant que Femme-A-Côté-De-La-Plaque, elle me demandait sans arrêt où tu étais. Ca n’arrange pas vraiment les choses ce genre de truc.
J’avais toujours le sourire devant toute le monde, parce que je ne voulais pas qu’on te déteste. Les « tu t’en remets bien ma chérie, je suis fière de toi ! ». Combien de fois je les ai entendus… Mais chez moi, ma carapace restait dehors et je redevenais fragile.
J’ai toujours tes photos sur mon mur, ton parfum et ton bonnet que tu n’as même pas pris le temps de récupérer dans la salle de bain. C’est pas bien de les laisser là, je sais, mais je crois que ce sont ces petits morceaux de toi qui m’ont aidés à tenir pendant 3 mois.
Je veux que tu réalises que quand t’es parti, j’ai tout perdu. T’étais mon monde Benjamin. Tout à l’heure je disais que tu étais la base de mon bonheur, mais en fait t’étais bien plus que ça. En deux ans, tu es devenu la base de ma vie. Et ça n’a pas changé. Mais le problème c’est que tout s’est écroulé, et que j’ai besoin de toi pour tout reconstruire. Même avec l’absence, tu continues à être celui à qui je pense tout le temps. Heureusement maintenant je souffre moins quand je pense à toi. Faut dire que le temps aide pas mal. Mais n’imagine même pas que je t’ai oublié. Presque deux ans d’histoire, ça ne s’oublie pas comme ça. Pendant ton absence, je me suis souvenue de tous les moments forts de notre histoire…
Notre première rencontre…
« Aiii !
– Oh flûte je suis désolée ! Je t’avais pas vue ! »
La jeune fille venait d’ouvrir son casier et la porte avait percuté la tête du garçon se tenant derrière.
« J’allais te crier dessus, mais en fait, je vais m’abstenir…
– Et en quel honneur ai-je le droit à cette faveur ? demanda la brune en évitant les deux billes bleues qui la fixait sans discrétion.
– Tu es trop jolie pour que je te crie dessus… »
Le garçon avait sorti ça, comme ça, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde, et Carter n’avait pas pu s’empêcher de tourner son regard ver lui. Son cœur eut un raté. Il était beau. Très beau. Trop beau pour s’intéresser à elle. Ses cheveux noirs en bataille, ses yeux bleus qui brillaient intensément, sa bouche parfaite affichait un sourire en coin qui fit fondre la brune, et sa nonchalance lui donnait un charisme fou.
Mais elle ne se laissait pas faire comme ça.
« Qu’est-ce-que tu veux ? Dit-elle en fermant la porte de son casier pour être véritablement face à lui.
– Ton nom d’abord.
– Carter.
– Sérieux ?
– Un problème ?
– Non. Original. Moi c’est Benjamin.
-Forcément ça l’est beaucoup moins.
– Pas de commentaire ! »
Carter mima de fermer sa bouche à clé, et fit demi tour sans adresser un regard au brun qui la rattrapa en trottinant derrière elle.
« Pourquoi tu me suis ?
– Je ne voulais pas que ton nom !
-Benjamin, je trouve que tes amis sont durs avec toi !
– Pourquoi tu dis ça ?
– Normalement dans un pari, on demande juste le prénom de la fille, pas tout son CV !
– Je suis nouveau ici. J’ai pas vraiment d’ami.
– Que d’assurance alors ! Elle s’arrêta pour de nouveau faire face au garçon. Qu’est-ce-que tu veux alors ?
– Qu’on devienne amis, que tu me montres ma salle de classe, ton numéro si jamais je me perds, un nouveau sac de cours et voir mon groupe préférer en concert mais je pense que les deux derniers ne t’intéressent pas vraiment.
J’avais éclaté de rire et ça a commencé comme a nous deux. T’as vite compris que je ne me laissais pas faire facilement, mais avec toi, je ne pouvais pas être normale. Je ne pouvais pas te rembarrer comme je le faisais avec tout le monde.
Après notre rencontre, j’ai repensé à notre premier baiser…
« Benjamin je te déteste !
– Je vais faire semblant de ne rien avoir entendu ! On est arrivé de toute manière !
Carter enleva rapidement le bandeau qui se trouvait sur ses yeux afin de pouvoir voir autour d’elle. Benjamin l’avait emmenée sur le toit de son immeuble, le plus haut de la ville, là ou on pouvait tout voir.
«Ca te plaît ? demanda-t-il doucement.
– C’est… magnifique…
– Je suis pardonné alors ?
– Mille fois.
La jeune femme ne trouvait même pas les mots. Ils étaient restés là des heures à parler, à jouer, à rire. En quelques mois seulement, Benjamin avait pris une place importante dans la vie de Carter. Ils passaient tout leur temps ensemble, et quand cela leur était impossible de se voir, ils s’appelaient en permanence.
Tu vois, notre premier baiser, j’avais toujours pensé que ça allait être quelque chose d’unique… Et puis après, je me suis rendu compte que ça avait été mille fois mieux que tout ce que j’avais pu imaginer.
Quand t’es parti, j’ai repensé à tout ça, à nos rencontres avec nos familles respectives, à notre voyage en Tunisie, mais aussi aux moments plus compliqués comme le décès de ma grand-mère, ou quand tes parents ont divorcé. Mais on a toujours tout combattu. Ensemble. Et pour moi, ma vie, je me voyais la passer avec toi, pour les bons, comme les mauvais moments.
Je t’aime Benjamin. Oui je t’aime. On dit qu’on se rend compte de l’importance des choses seulement après les avoir perdues, mais moi je savais l’importance que tu avais pour moi. Et te perdre n’a fait que confirmer ce que je pensais. Je t’aime.
Fais quelque chose, je t’en prie, arrête de me regarder comme ça, comme si tu étais étonné de me voir. Je t’en supplie. T’es Benjamin… et je suis toujours Carter… »
La jolie brune ouvre brusquement les yeux. Elle fixe le plafond blanc, sombre en l’absence de lumière. Elle reste un moment immobile, laissant les larmes dévalées ses joues en flots intarissables. Un rêve. Tout ça n’était rien qu’un rêve… Ou presque. Tout n’est pas si imaginaire. Carter n’aura probablement jamais l’occasion de pouvoir dire tout ça au garçon qu’elle aime. Elle est incapable de dire où il se trouve actuellement.
En revanche l’absence, elle, était vraiment présente. Le cœur oppressé, l’estomac retourné et les neurones en feu, étaient des douleurs qui habitaient le corps de Carter depuis plusieurs mois. Mais elle gardait espoir qu’un jour tout irait mieux. Avec lui auprès d’elle. Comme avant.
Carter dévie son regard du plafond pour fixer une photo sur le mur. Lui. Elle. Eux. Ensemble et heureux. Un moment qui parait lointain désormais. Aussi éloigné que l’homme qui avait changé le monde de Carter.
Photo publiée sur Flickr en licence Creative Commons par Gimli_36