Du 18 novembre 2011 au 14 janvier 2012, la médiathèque de Bourges organisait un concours de nouvelles ouvert à tous. Le 31 mars, étaient dévoilés les lauréats qui ont accepté que leur texte soit publié ici. Merci à eux de nous permettre de les découvrir !
Voici le 2ème prix dans la catégorie « groupe » 12-17 ans
Maldições de Fogo
Killian BARRAS et Valentin DOUARD
« Tour de Maldições de Fogo, Delta Hôtel Deux Deux Unité, de type De Havilland Beaver piste 9, demandons autorisation de décoller.
– DH-221, autorisé à décoller ».
Le petit Beaver fit vrombir son puissant moteur Rolls-Royce Merlin de 1200 CV, roula sur une soixantaine de mètres et décolla. Le climat humide du Brésil pendant la saison des pluies n’arrangeait pas les vols de Stéphane Ardiget et de son camarade Marcel de Saint-Yorre. L’autre équipage, sur Grumman Goose, s’était embourbé lors d’un atterrissage d’urgence et avait détruit son moteur gauche.
« J’espère qu’on y arrivera en un seul morceau, dit Saint-Yorre. Avec le crash du Goose, ça doit faire une semaine que le camp n’a pas été ravitaillé. »
Effectivement, la mission d’Ardiget et de Saint-Yorre était de ravitailler un camp d’archéologues, à vingt-cinq nautiques au nord-ouest de Maldições de Fogo. Ni l’un ni l’autre ne savaient ce qu’ils cherchaient, mais cela n’avançait pas. Trois mois qu’ils étaient là !
« Bon, on résume le plan de vol. On amerrit à Save Point, on embarque les provisions, on vole jusqu’au camp et on rentre ? demanda Ardiget.
– Ouais, c’est ça. Si tant est qu’on y arrive… »
Il n’y avait dans la région qu’une piste praticable : Maldições de Fogo. Les camps étaient donc dressés près de lacs, pour être desservis par des avions amphibies tels que le De Havilland Beaver et le Grumman Goose.
« Voilà Save Point », fit Saint-Yorre.
Ardiget amorça sa manœuvre d’amerrissage. Parfait. Quelques secondes plus tard, le Beaver était à flot.
« Bon, mets-toi à côté de la jetée. »
Une ou deux minutes plus tard, huit caisses très volumineuses étaient à bord.
« C’est bon ! cria Saint-Yorre de la soute. Décolle ! »
Le vaillant Beaver s’élança, décolla, et mit le cap vers le nord-ouest. Une vingtaine de minutes plus tard, ils amerrissaient sur un autre lac, au bord d’une autre jetée. Un camp de base.
« Bon, cette fois, c’est moi qui descends, c’est ça ? demanda Ardiget.
– T’as tout compris. Ramène-moi les dernières nouvelles ! »
Un peu plus tard, Ardiget revint avec une femme qui devait avoir la quarantaine. Grande, elle était vêtue d’un treillis assez laid, sans doute censé être plus pratique qu’élégant.
« Marcel, je te présente Françoise Hinkelmann, la chef des archéologues. Elle a besoin du Beaver.
– Navré, madame, mais on préfère ne pas prendre de risques. On a déjà perdu un avion, il ne faudrait pas perdre le deuxième. Et puis, on n’a pas assez de carburant pour faire un détour…
– Sur ce point-là, le carburant n’est pas un problème, fit Françoise. Les vestiges que nous cherchons sont à mi-chemin entre ici et la piste de Maldições de Fogo. Et puis, qui sait… le musée pourrait vous fournir une ‘tite prime…
– Voici votre siège, madame. »
Le Beaver décolla et mit le cap sur Maldições de Fogo.
« Madame Hinkelmann, ils sont où exactement vos vestiges ? demanda Saint-Yorre.
– On ne sait pas exactement, répondit l’archéologue. On cherchait des vestiges incas dans la région, et un jour, un vieux Quechua est venu au camp. Il nous a raconté qu’il y a peu, alors qu’il remontait l’Amazone vers Manaus, il a aperçu une tête monumentale grande comme une maison. Il a passé son chemin sans s’approcher. Quand on lui a demandé pourquoi, il a répondu « Maldito ».
– En gros, intervint Ardiget, on cherche une tête maudite paumée au bord de l’Amazone, c’est ça ?
– Oui.
– Mais, madame. Je ne suis peut-être pas bon en Histoire, mais les têtes monumentales, ce sont des œuvres Olmèques, pas Incas !
– Oui, répondit Françoise. Et de plus, les Olmèques ne sont jamais allés plus loin que le Mexique. C’est peut-être l’occasion de faire une découverte importante… Eh ! Regardez ! Deux heures en bas !
La tête était là, au milieu d’une petite clairière au bord du fleuve. Elle était faite en pierre dont la blancheur, d’autant qu’on puisse en juger d’un avion, n’avait rien à envier au marbre d’Italie.
Le Beaver amerrit sur le fleuve, s’arrêta, les explorateurs en descendirent et prirent la direction de la tête. Ce qu’ils avaient vu de l’avion se vérifiait : malgré son grand âge, elle n’avait pas une seule moisissure sur sa surface qui restait immaculée.
« Regardez ! cria Hinkelmann, parvenue à la tête. Sa bouche forme une espèce de porte… Oh, flûte !
– Quoi ?
– L’entrée est murée.
– Attendez », fit Ardiget.
Il s’avança, et frappa la pierre comme on frappe une porte.
« Ça résonne, informa Ardiget. Doit y avoir un couloir derrière. Marcel, va chercher un bâton de dynamite !
– Euh, vous êtes sûrs ? interrogea Françoise. On pourrait faire exploser la tête…
– Planquez-vous ! » cria Saint-Yorre.
Dans un fracas épouvantable, la dynamite explosa, détruisant le mur.
« Marcel ! cria Ardiget en se relevant, s’étant jeté à terre avec Hinkelmann. La prochaine fois, t’attendras qu’on se soit écartés avant de tout faire sauter !
– Oh, c’est bon ! Tu vas pas en faire tout un plat…
– Un plat !? T’as failli nous tuer, imbécile !
– Eh ! Les gars ! Ça vous embêterait de me suivre ? »
Les explorateurs pénétrèrent dans la tête. Ils arpentèrent un couloir en pente douce. Pendant longtemps – une demi-heure ? Trois quarts d’heure ? – ils descendirent sans jamais voir la fin.
« C’est long !
– Et ça pue !
– Vous êtes vraiment des gamins, les garçons ! Aïe !
– Quoi ?
– C’était mon pied !
– Eh ! Regardez ! On dirait de la lumière !
– C’est pas trop tôt, j’en ai marre de me faire marcher dessus !
– Z’êtes vraiment une plaie, vous ! »
Sortant du couloir, ils furent un moment aveuglés par la lumière. Mais ils ne furent pas déçus lorsqu’ils recouvrèrent la vue.
Se dressait devant eux une cité immense mais déserte. C’était une ville précolombienne typique, à ceci près qu’elle était souterraine, recouverte d’un dôme qu’aucun pilier ne soutenait. Les rayons du soleil n’y parvenaient pas, mais on y voyait grâce à une luminescence qui semblait sortir des murs des maisons. La ville était surmontée par un temple pyramidal, gigantesque et majestueux, dont le sommet épousait la courbe du dôme. Les explorateurs y pénétrèrent, arpentant une grande allée, pensant trouver un autre trésor d’archéologie. Ils ne furent pas déçus.
L’intérieur du temple était immense bien que désespérément vide. A l’exception d’une statue masquée. Et ce masque était magnifique. Fait d’émeraudes, ses yeux étaient de lapis-lazuli et ses lèvres de rubis.
– « Quelle merveille ! » s’exclama Françoise.
Et elle le prit.
Une bourrasque traversa alors le temple. Saint-Yorre, resté à l’extérieur, cria, paniqué :
– « On se tire ! Le dôme s’effondre ! »
La voûte s’écroulait, ses morceaux détruisant cette huitième merveille du monde, le jour même de sa découverte. Par miracle, les trois infortunés parvinrent à ressortir de la cité par la bouche de la tête, qu’un éboulis bloqua juste après leur passage.
« Regardez les gars ! La colline s’effondre !
– Remontez dans l’avion. Vite ! »
Le Beaver décolla cette fois avec peine, tourna difficilement et prit le cap 250, droit sur Maldições de Fogo.
Soudain, l’hydravion se mit à descendre, puis à monter.
– « Stéphane ! Qu’est-ce que tu fabriques !? C’est pas le moment de faire des acrobaties !
– Mais je n’ai rien fait ! Il doit y avoir un problème avec les commandes de vol. Bon sang ! »
Un voyant s’était allumé sur le tableau de bord. Le moteur était en feu.
« Tour de Maldições de Fogo, appela Ardiget. Delta Hôtel Deux Deux Unité, demandons atterrissage d’urgence !
– Signalez votre problème.
– Moteur en feu, défaut des commandes de vol.
– En feu ? Mais il pleut !
– Ouais, je sais ! C’est bien ça le problème !
– DH-221, autorisé à l’atterrissage. »
Ardiget, bien qu’excellent pilote, ne parvint qu’avec peine à aligner l’avion avec la piste. Mais il avait réussi. Il descendait lentement vers la piste.
– « Cinq cents pieds, trois cents, deux cents… Ça y est ! On est sauvés ! »
Le Beaver atterrit lourdement et s’embourba. Les pompiers tentèrent d’éteindre le feu, qui n’avait pas atteint la cabine. Mais le feu inexpugnable ne se laissait pas faire, et semblait redoubler d’intensité à chaque attaque des soldats du feu.
« Vite ! hurla le lieutenant João Niquenha. Da Silva, Gomais ! Défoncez la porte de la cabine et sortez-les de là ! »
Les deux pompiers s’exécutèrent, et pénétrèrent dans le cockpit, que les flammes n’avaient pas atteint. Mais ils ne trouvèrent que trois squelettes, et un masque fait de pierres précieuses, dont les lèvres de rubis se tordaient en un rictus malfaisant.
Photo publiée sur Flickr en licence Creative Commons par Dachalan