Il faisait froid, ce jour là, comme tous les jours dans ce coin-là… Natacha et moi glissions sur le tapis neigeux de la forêt ukrainienne, blottis sous la couverture de notre troïka, en compagnie du loup, du renard et de la zibeline… Le loup était un peu, comment dirais-je, léthargique. C’est Natacha qui la première a eu cette idée saugrenue : entamer une partie de Uno à cinq dans la troïka… Voilà un jeu de cartes auquel je n’ai jamais compris toutes les règles. Pour le coup, c’est moi qui commençai à devenir léthargique… D’autant que, d’ici à Vierzon, c’est peu dire qu’on avait le temps… Inutile de vous dire que je perdais à chaque fois… Il faut dire que notre ami renard est un tricheur avisé… Etonnant, non ?
« j’avançais péniblement dans cette neige dont j’avais pourtant l’habitude; elle pique les yeux et les « narines, mes compagnes d’attelage soufflaient l’effort, comme moi. Impossible de se concentrer sur « l’itinéraire: les deux passagers nous criaient des contre-ordres -gagné-perdu-qui n’étaient suivis d’aucun « coup de feu…aussi nous étions inquiets: quand allaient-ils commencer à tirer? allait-t-il falloir s’arrêter pour « le duel? . .
» « .le renard et la zibeline ont l’air déjà morts », me souffa Michka derrière moi .
« ….oh, la la, c’est mauvais signe..qu’en dis-tu Paprika?
« mais la vieille jument était sourde.
« le cocher ne regardait pas la route. . .
Le renard et la zibeline étaient morts de fatigue, aussi nous n’étions plus que trois, Natacha, le loup et moi autour du jeu, abattant nos cartes à tour de rôle, piochant d’autres cartes, observant l’attitude des autres, nous lançant des invectives dans un langage à la limite du graveleux. Les chevaux avaient l’air assez nerveux, on entendait leur souffle rauque et le claquement sec des coups de fouet donnés par le cocher (quand il regardait la route).
Il faisait de plus en plus froid, de moins en moins jour et le niveau de notre bouteille de vodka diminuait tandis que les parties s’envenimaient. Dans mon souvenir, c’est le loup qui a craqué le premier…
Les mâchoires du loup étaient plantées dans le poignet du cocher qui proférait une série d’injures en slave. Natacha et moi abandonnâmes nos cartes pour nous précipiter sur le loup en rogne. Le renard et la zibeline continuaient à dormir comme si de rien n’était.
J’avais empoigné le loup par le cou pendant que Natacha lui tirait la queue pour le faire lâcher prise. La troïka glissait toujours dans la forêt ukrainienne, à une allure endiablée.
Fallait voir le tableau ! Les chevaux étaient paniqués…
« Sans cocher! ouf! enfin sans cocher » me disais-je en soufflant un maximum d’écume par mes nasaux enragés. « Eh, les filles, dis-je à mes deux juments, si on allait voir la mer? » .Surprises, elles s’arrêtèrent net. « La mer? dit Michka? » « Ma mère? dit Paprika? » et toutes les deux « Mais dans quelle direction est-ce? ».
Crânement je humai l’air de mes nasaux en feu et leur dis « il n’y a que ce cr.t.n » (censuré dans le texte) de cocher, vendu à la C.I.A qui a besoin d’un GPS ». « ?HHHein? » firent-elles en coeur. « Mais oui, » leur dis-je, « je l’ai connu dans un ranch du Texas, lors d’un voyage d’étude ». « Nooon? ». « Pourquoi tu n’as rien dit? » . . . les passagers étaient à moitié estourbis dans la neige qui les avait accueillis lors de l’arrêt brutal… »Honteusement, je leur avouai mon péché mignon: « j’aime la wodka »! « et ces deux-là avaient l’air d’en écumer d’une bonne marque… »
Nous étions vautrés dans la neige, hébétés comme des Polonais après une beuverie. Notre cocher nous avait lâchés en route. Ces chevaux étaient décidément atypiques… Il ne restait plus qu’un fonds de vodka et je voyais Natacha faire la grimace. Poussé malgré tout par un élan de générosité, je tendis le bras vers la bouteille et me levai péniblement pour la porter vers le korennik, un beau trotteur Orlov qui avait autrefois servi aux courses hippiques de Moscou. Il ne mit pas longtemps à siffler le liquide transparent… Grisé par l’alcool, le trotteur se mit à me raconter sa vie de canasson, de sa naissance dans l’oblast de Voronej à ses nombreux voyages en Europe et même aux Etats-Unis, où il avait rencontré notre ex-cocher, compromis dans des affaires louches avec la C.I.A. (rien que ça), une invraissemblable histoire d’espionnage, de contre-espionnage et de corruption, mais je crois qu’Ellroy vous en dirait plus à ce sujet…
Impossible de continuer ce soir, il nous reste au moins cinq cents verstes pour arriver jusqu’à la demeure du Comte. Lui seul connait le bûcheron qui pourrait sortir le e-book du ventre de loup…Pff, ‘ suis pas bien, pff, ‘s que c’est que cette Vodka? Je pensais récupérer le mot de passe ce soir. . . (je m’essouffle) C’était quoi déjà?
Les brumes de la Volga flottent devant mes yeux tandis que s’élève le son lointain d’une balalaïka…le mot de passe de chermedia. . .retrouver le mot de passe de chermedia! tout s’obscurcit, la balalaïka joue faux, c’est Pâques, un vol de cloches traverse le ciel. . . Sacré petit Boris, il va m’empêcher de finir ce soir…
Je vais vous dire : mon vrai prénom n’est pas Natacha mais Sandrine. D’ailleurs, je ne suis pas russe mais bel et bien Berrichonne. Pourquoi Natacha ? Parce que, voyez-vous, quand on a été engagé par les services secrets russes, on prend bien soin de dissimuler son identité sous un nom d’emprunt, tout le monde sait ça…
Bref, si vous voulez tout savoir, la vodka m’était un peu monté à la tête… Juste un peu… Aussi, quand les premiers accords de la balalaïka ont résonné dans la forêt, je voyais presque les notes rebondir d’un arbre à l’autre. Impossible de savoir d’où venait la musique. Alors j’ai commencé à danser. Seule d’abord, tapant des mains, tourbillonnant, sautillant, je fus bientôt imitée par mes compagnons.
Vladimir, notre korennik, amorça une cavalcade comme seul un trotteur Orlov sait en faire, suivi par ses deux acolytes, Michka et Paprika. Puis ce fut le loup, sortant de sa léthargie, rapidement accompagné du renard et de la zibeline. Boris enfin croisa les bras et tenta quelques sauts de danse, hop ! hop ! hop ! avant de glisser sur la neige pour se retrouver les quatre fers en l’air.
Les rapports de la C.I.A, le cocher texan, l’e-book englouti, les sermons de ma babouchka, j’ai tout oublié dans un tourbillon de poussière cristalline, et au son de la balalaïka, petit Boris et Natacha sont rentré dans leur isba…
Quant-à moi, j’ai toujours été bon cheval!
Mon père, un Texan venu parader en voyage officiel, avait séduit puis lâchement abandonné ma mère qui m’a élevé seule. Devenu grand, j’ai accepté une mission secrète aux States pour le retrouver. Hélas! ce n’était pas un héros: il passait sa vie à attendre son maître aux portes des saloons. C’est avec eux que j’ai pris de vilaines habitudes!!hélas!
Voulant goûter la vodka, le cocher abandonna mon père et revint avec moi. Je sais, c’est très vilain comme vengeance!..
Et puis ma rencontre avec Boris et Natacha a changé notre vie:
Nous sommes tous couchés dans l’herbe devant leur isba, ma vieille mère, ma fiancée et moi. . . les autres aussi. . .le cocher s’est mis à écrire des polars et des histoires à l’eau de rose sur son ordi portable, il pianote, le derrière dans l’herbe (je hennis et ricane), de temps en temps il téléphone en France à une certaine Christine, et lui demande en Russe « le mot de passe de chermedia »…Il dit qu’elle lui avait fait un bel article quand il avait présenté le Bolchoï à Paris….
Et vous, vous y croyez à cette histoire?
(Ivan Rebroff entonne « le temps des fleurs »
Il faisait froid, ce jour là, comme tous les jours dans ce coin-là… Natacha et moi glissions sur le tapis neigeux de la forêt ukrainienne, blottis sous la couverture de notre troïka, en compagnie du loup, du renard et de la zibeline… Le loup était un peu, comment dirais-je, léthargique. C’est Natacha qui la première a eu cette idée saugrenue : entamer une partie de Uno à cinq dans la troïka… Voilà un jeu de cartes auquel je n’ai jamais compris toutes les règles. Pour le coup, c’est moi qui commençai à devenir léthargique… D’autant que, d’ici à Vierzon, c’est peu dire qu’on avait le temps… Inutile de vous dire que je perdais à chaque fois… Il faut dire que notre ami renard est un tricheur avisé… Etonnant, non ?
« j’avançais péniblement dans cette neige dont j’avais pourtant l’habitude; elle pique les yeux et les « narines, mes compagnes d’attelage soufflaient l’effort, comme moi. Impossible de se concentrer sur « l’itinéraire: les deux passagers nous criaient des contre-ordres -gagné-perdu-qui n’étaient suivis d’aucun « coup de feu…aussi nous étions inquiets: quand allaient-ils commencer à tirer? allait-t-il falloir s’arrêter pour « le duel? . .
» « .le renard et la zibeline ont l’air déjà morts », me souffa Michka derrière moi .
« ….oh, la la, c’est mauvais signe..qu’en dis-tu Paprika?
« mais la vieille jument était sourde.
« le cocher ne regardait pas la route. . .
Le renard et la zibeline étaient morts de fatigue, aussi nous n’étions plus que trois, Natacha, le loup et moi autour du jeu, abattant nos cartes à tour de rôle, piochant d’autres cartes, observant l’attitude des autres, nous lançant des invectives dans un langage à la limite du graveleux. Les chevaux avaient l’air assez nerveux, on entendait leur souffle rauque et le claquement sec des coups de fouet donnés par le cocher (quand il regardait la route).
Il faisait de plus en plus froid, de moins en moins jour et le niveau de notre bouteille de vodka diminuait tandis que les parties s’envenimaient. Dans mon souvenir, c’est le loup qui a craqué le premier…
il s’est jeté sur le e-book du cocher
Les mâchoires du loup étaient plantées dans le poignet du cocher qui proférait une série d’injures en slave. Natacha et moi abandonnâmes nos cartes pour nous précipiter sur le loup en rogne. Le renard et la zibeline continuaient à dormir comme si de rien n’était.
J’avais empoigné le loup par le cou pendant que Natacha lui tirait la queue pour le faire lâcher prise. La troïka glissait toujours dans la forêt ukrainienne, à une allure endiablée.
Fallait voir le tableau ! Les chevaux étaient paniqués…
« Sans cocher! ouf! enfin sans cocher » me disais-je en soufflant un maximum d’écume par mes nasaux enragés. « Eh, les filles, dis-je à mes deux juments, si on allait voir la mer? » .Surprises, elles s’arrêtèrent net. « La mer? dit Michka? » « Ma mère? dit Paprika? » et toutes les deux « Mais dans quelle direction est-ce? ».
Crânement je humai l’air de mes nasaux en feu et leur dis « il n’y a que ce cr.t.n » (censuré dans le texte) de cocher, vendu à la C.I.A qui a besoin d’un GPS ». « ?HHHein? » firent-elles en coeur. « Mais oui, » leur dis-je, « je l’ai connu dans un ranch du Texas, lors d’un voyage d’étude ». « Nooon? ». « Pourquoi tu n’as rien dit? » . . . les passagers étaient à moitié estourbis dans la neige qui les avait accueillis lors de l’arrêt brutal… »Honteusement, je leur avouai mon péché mignon: « j’aime la wodka »! « et ces deux-là avaient l’air d’en écumer d’une bonne marque… »
Nous étions vautrés dans la neige, hébétés comme des Polonais après une beuverie. Notre cocher nous avait lâchés en route. Ces chevaux étaient décidément atypiques… Il ne restait plus qu’un fonds de vodka et je voyais Natacha faire la grimace. Poussé malgré tout par un élan de générosité, je tendis le bras vers la bouteille et me levai péniblement pour la porter vers le korennik, un beau trotteur Orlov qui avait autrefois servi aux courses hippiques de Moscou. Il ne mit pas longtemps à siffler le liquide transparent… Grisé par l’alcool, le trotteur se mit à me raconter sa vie de canasson, de sa naissance dans l’oblast de Voronej à ses nombreux voyages en Europe et même aux Etats-Unis, où il avait rencontré notre ex-cocher, compromis dans des affaires louches avec la C.I.A. (rien que ça), une invraissemblable histoire d’espionnage, de contre-espionnage et de corruption, mais je crois qu’Ellroy vous en dirait plus à ce sujet…
Impossible de continuer ce soir, il nous reste au moins cinq cents verstes pour arriver jusqu’à la demeure du Comte. Lui seul connait le bûcheron qui pourrait sortir le e-book du ventre de loup…Pff, ‘ suis pas bien, pff, ‘s que c’est que cette Vodka? Je pensais récupérer le mot de passe ce soir. . . (je m’essouffle) C’était quoi déjà?
Les brumes de la Volga flottent devant mes yeux tandis que s’élève le son lointain d’une balalaïka…le mot de passe de chermedia. . .retrouver le mot de passe de chermedia! tout s’obscurcit, la balalaïka joue faux, c’est Pâques, un vol de cloches traverse le ciel. . . Sacré petit Boris, il va m’empêcher de finir ce soir…
Et la troïka partit dans la nuit au son des balalaïkas http://www.deezer.com/listen-1370967
Je vais vous dire : mon vrai prénom n’est pas Natacha mais Sandrine. D’ailleurs, je ne suis pas russe mais bel et bien Berrichonne. Pourquoi Natacha ? Parce que, voyez-vous, quand on a été engagé par les services secrets russes, on prend bien soin de dissimuler son identité sous un nom d’emprunt, tout le monde sait ça…
Bref, si vous voulez tout savoir, la vodka m’était un peu monté à la tête… Juste un peu… Aussi, quand les premiers accords de la balalaïka ont résonné dans la forêt, je voyais presque les notes rebondir d’un arbre à l’autre. Impossible de savoir d’où venait la musique. Alors j’ai commencé à danser. Seule d’abord, tapant des mains, tourbillonnant, sautillant, je fus bientôt imitée par mes compagnons.
Vladimir, notre korennik, amorça une cavalcade comme seul un trotteur Orlov sait en faire, suivi par ses deux acolytes, Michka et Paprika. Puis ce fut le loup, sortant de sa léthargie, rapidement accompagné du renard et de la zibeline. Boris enfin croisa les bras et tenta quelques sauts de danse, hop ! hop ! hop ! avant de glisser sur la neige pour se retrouver les quatre fers en l’air.
Les rapports de la C.I.A, le cocher texan, l’e-book englouti, les sermons de ma babouchka, j’ai tout oublié dans un tourbillon de poussière cristalline, et au son de la balalaïka, petit Boris et Natacha sont rentré dans leur isba…
Quant-à moi, j’ai toujours été bon cheval!
Mon père, un Texan venu parader en voyage officiel, avait séduit puis lâchement abandonné ma mère qui m’a élevé seule. Devenu grand, j’ai accepté une mission secrète aux States pour le retrouver. Hélas! ce n’était pas un héros: il passait sa vie à attendre son maître aux portes des saloons. C’est avec eux que j’ai pris de vilaines habitudes!!hélas!
Voulant goûter la vodka, le cocher abandonna mon père et revint avec moi. Je sais, c’est très vilain comme vengeance!..
Et puis ma rencontre avec Boris et Natacha a changé notre vie:
Nous sommes tous couchés dans l’herbe devant leur isba, ma vieille mère, ma fiancée et moi. . . les autres aussi. . .le cocher s’est mis à écrire des polars et des histoires à l’eau de rose sur son ordi portable, il pianote, le derrière dans l’herbe (je hennis et ricane), de temps en temps il téléphone en France à une certaine Christine, et lui demande en Russe « le mot de passe de chermedia »…Il dit qu’elle lui avait fait un bel article quand il avait présenté le Bolchoï à Paris….
Et vous, vous y croyez à cette histoire?
(Ivan Rebroff entonne « le temps des fleurs »