Les Archives départementales du Cher ont récemment fait l’acquisition d’un ensemble de documents intéressant Aubigny sur Nère et sa région entre le XVIe et le XIXe siècle.
Il s’agit d’archives privées entrées en possession d’un descendant des familles Foucher, Pascaud et Rossignol de la Ronde.
Ces lignées ne sont pas inconnues des historiens : elles ont donné au Berry un nombre appréciable de magistrats, de notaires, d’homme politiques et de grands propriétaires terriens entre le XVIIe et le XIXe siècle.
Une trentaine de lettres retient l’attention. C’est la correspondance adressée entre 1803 et 1806 par François Rossignol de la Ronde à ses filles Adèle et Augustine, pensionnaires dans une institution religieuse parisienne, le couvent des Dames anglaises de la rue des Fossés-Saint-Victor, aujourd’hui rue du Cardinal Lemoine dans le quartier Latin. Effectivement tenue par des Augustines d’Outre-Manche réfugiées en France pour fuir les persécutions contre les catholiques, cette maison d’éducation, fermée pendant la Révolution était redevenue une des plus cotées de la capitale après le Concordat.
L’auteur des lettres François Rossignol de la Ronde, dit Rossignol des Millets, appartient à la catégorie des grands notables du Premier Empire. Magistrat et financier avant et pendant la Révolution, il se retire des charges publiques sous l’Empire et vit de l’exploitation de ses domaines entre Bourges, Aubigny et Vatan, dont le moulin de la Ronde est proche. Il figure en bonne place sur la liste des trente personnes les plus imposées du département en 1810 et symbolise parfaitement les « masses de granit » fidèles appuis au régime, qui font l’objet depuis plusieurs années d’une étude biographique systématique patronnée par le CNRS.
Cette enquête prosopographique vient de déboucher pour le Cher sur la publication par Guillaume Levêque d’un précieux dictionnaire, le 29e de la série.
Adèle et Augustine de la Ronde, que leur père rêve en petites filles modèles et en épouses bien mariées, étudient le piano, la danse et le dessin. Leur géniteur s’inquiète souvent de leur santé, peut-être parce qu’il craint pour elles le mal dont souffre leur mère, déclarée aliénée et enfermée à l’asile de Charenton jusqu’à sa mort. Il les exhorte à l’obéissance et à l’étude et ne manque jamais une occasion de leur faire remarquer les sacrifices qu’il consent pour leur éducation ! Il leur recommande aussi de veiller sur leur frère élevé à Paris par un précepteur.
La correspondance s’interrompt brutalement au printemps 1806. François Rossignol décède quelques mois plus tard à Paris, dans un appartement voisin du couvent des Dames anglaises qu’il louait pour rendre visite à ses enfants.
A La Ronde, 4 messidor an 12 [23 juin 1804]
Je suis arrivé, mes chères amies, en bonne santé. Je parcours maintenant mes campagnes,mais comme je songe à mes enfants chéris partout où je suis, je vous écris quoique fort occupé dans mon bien de La Ronde, où je fais la tonte des bêtes à laine. Je me donne bien de la peine pour les frais de votre éducation, profitez en seulement, c’est mon plus grand désir.
Je vous ay déjà trouvées dans un changement qui m’a fait grand plaisir. C’est un éloge que je vous dois ; qu’il vous serve d’encouragement pour qu’à mon premier voyage, vous ayez encore un degré de perfection de plus. Mais vous sentez bien que je ne puis être satisfait qu’autant que vos maîtresses le seront. Ecoutez bien et suivez les bons principes qu’elles vous enseignent. Il est heureux pour vous d’être placées aussi avantageusement. Vous devez sentir combien vous êtes mieux que dans la pension de Bourges. Je souhaite que votre frère soit aussi bien que vous. Demandez la permission de le faire venir et vous lui lirez ma lettre pour qu’il entende que je vous aime tous les trois de tout mon coeur. Embrassez vous mutuellement et transmettez moi ces tendres baisers dans la réponse que vous me ferez. Marquez moi, ma chère Augustine, tout ce que le petit frère vous dira. Il me tarde de savoir s’il se trouve bien, s’il s’accoutume, s’il fait bon usage de son argent plutôt en cerises qu’en pain d’épices, enfin si M. Germain n’est pas méchant.
Ne vous échauffez pas, modérez vos jeux par cette grande chaleur et surtout le petit frère avec la balle et le cerceau. Augustine scait ce que c’est que d’être malade. J’espère qu’elle ne se ressent plus de la fièvre. Il faut qu’Adelle se tienne à l’ombre avec son carton de dessein et qu’elle étudie pour ne pas craindre de me montrer une autre fois son ouvrage.
Ne manquez pas de présenter mes hommages à mesdames les supérieure, dépositaire etmaîtresse qui, par leur affabilité pour moy et leur affection pour vous, provoquent lessentimens de la plus vive reconnoissance.
Votre bonne maman se porte bien et embrasse de tout son coeur ses trois petits enfants.
Adieu mes chers enfants ; ne songeons point aux larmes que le départ a fait couler, mais au plaisir de nous revoir le plutôt qu’il sera possible.
Je suis votre père et le plus tendre des pères.
De la Ronde
Vraiment intéressant à plus d’un titre.
D’abord par le style de son auteur, sa manière de s’adresser à ses filles et ce que cela laisse supposer de sentiments. Ensuite par ce que cette lettre permet d’entrevoir de la vie des pensionnaires et de deviner ce qu’on attendait d’elles, sans oublier le petit frère qui devait être vraiment tout jeune et loin de sa famille. Enfin on frissonne pour cette pauvre femme et toutes les pauvres femmes enfermées à Charenton. Cette lettre pleine de son absence dans la famille en laisse deviner la dramatique situation. On ne sait si le mari prenait autant d’attentions pour elle.
En tous les cas il est très heureux que les archives portent cette riche correspondance à notre connaissance. Merci bien.