Olivier Bordaçarre et Les Gens d’ici aux Futurs de l’écrit


 Olivier Bordaçarre (retrouvez son interview sur Chermedia) nous livre ici ses réflexions quant au travail théâtral qu’il a conduit depuis plus de 2 ans avec des femmes en difficultés d’insertion. Le théâtre, le désir, la vie… Malgré tout !

« L’Art est une arme 

     On les disait chômeuses, érémistes, précaires, faiblardes et foutues, sans avenir et sans statut, miséreuses et bonnes à rien, feignasses ! La société capitaliste jouait au miroir, avec ces principes du XVIe siècle, son fonctionnement détraqué, ses airs bourgeois, sa charité bon marché, ses messages schizophrènes, son pragmatisme criminel, sa morale sécuritaire. Dans quel miroir se reflètent-elles maintenant, ses femmes en costumes de scène ? Celui du public, celui des regards qui aiment.

     Que s’est-il passé ? Avec le théâtre ? Le théâtre des opérations ? Il s’est opéré un revirement. Peut-être un bouleversement dans le rapport à soi, aux autres et au fonctionnement d’une société inhibitrice, culpabilisante, aliénante, répressive, la société du contrôle permanent.

     Le théâtre, ce détachement de soi, permet d’observer le monde avec l’œil véhément de la révolte. Bien sûr, cela libère, redonne confiance et espoir, offre enfin une place satisfaisante à chacune et chacun, permet de reprendre la parole, une parole libérée, sans rançon, du kidnapping social orchestré par les puissants déconnectés, les monarques dominants, les architectes de l’injustice, les paranoïaques en costard à l’arrêt, les producteurs de névroses de masse, les psychopathes sexuels de la gouvernance.

     Bien sûr, le théâtre fait du bien, au premier abord, cela se constate aisément dans l’observation des sourires, des rires, des solidarités qui se retissent, de l’entraide enfin qui illumine les rapports humains. On s’y sent bien. C’est une vérité. Mais s’arrêter à ce constat, c’est entériner la frontière du bon sentiment, du correct, du lieu commun. Au-delà de cette frontière, il y a l’évident combat. Pas de plaisir sans lutte.

     Elles ont osé. Elles se sont aperçues que c’est parce qu’elles n’osaient pas que les choses étaient difficiles. Ces comédiennes dont vous avez vu le corps, dont vous avez entendu la voix, ces comédiennes qui ont renoué avec le langage, celui qui relie, celui qui n’aurait jamais dû s’interrompre, ces comédiennes qui ont osé s’attaquer aux principes moraux en vigueur, attaquer la valeur travail, l’égocentrisme, la morosité religieusement alimentée par les faiseurs de crise, qu’ont-elles fait en réalité ? Derrière le masque burlesque de leurs personnages, sous cette langue désarticulée, amputée, face à leurs responsabilités d’artistes, elles ont affirmé leur désir. Et c’est une renaissance. Une révolution intérieure, celle que la société capitaliste, religieuse par définition, leur a interdit. Car un désir qui s’exprime, qui défait le cadre répressif, qui désindividualise (en cela qu’il bouleverse les perceptions en leur rendant leurs multiples directions ; percevoir l’autre, percevoir les lumières du monde, les dysfonctionnements, percevoir la nécessité vitale d’un développement urgent des responsabilités collectives), un désir qui réenclenche le processus désirant, la construction mutuelle, qui n’a d’autre but que son propre chemin en compagnie des autres, ce désir-là est un danger absolu pour les prêcheurs capitalistes et leur régime de fous.

     Comment assouvir un désir dans la précarité ? Que penser de cette liberté cellulaire avec forfait bloqué chez l’opérateur richissime ? Que penser de cette pornographie permanente du pouvoir pipolisé ? Que penser de ce web-bonheur transformant l’électeur moyen en machine à communiquer de la soupe ?

     L’être conforme est fondu dans la masse. La masse est uniforme. L’uniformité est un empilement hiérarchique d’individus. Une pyramide. Des individualités toutes identiques, névrotiquement identiques, toutes dominées par ce sous-désir, ce déchet de désir, ce besoin de marcher sur la gueule de l’autre. Justifier l’idéologie du mérite. Le « Je me suis fait tout seul » dans le grand cirque de la sélection naturelle. L’individu s’individualise à fond dans cette maladie générale de la domination, dans l’expérience du centre d’intérêt commun unique (et exprimé comme tel à son voisin par le « Chacun pour soi, maintenant ! »), dans le développement du moi potentiellement riche et célèbre, dans l’obsession du pouvoir ; pouvoir qui n’a que peu d’efforts à fournir pour produire de l’obsession puisque ses bénéfices sont définitionnellement hallucinants !

     Qu’expriment-elles, ces comédiennes, quand elles affirment : « Je peux dire non ! », « Je regarde les gens en face », « Je n’ai plus honte de moi » ? Désir d’être. Désir de rétablir la vérité. Désir de rupture avec la honte supposée. Désir d’amour.

     La honte ? Mais la honte, nous savons où elle se situe. Notre perception du monde se désindividualisant, nous posons la question : combien d’humains meurent chaque jour dans des conditions qui défient bêtement les lois originelles de la nature ? Combien de fois par jour pourrait-on nous abstenir de chanter : « Car Bonhomme, il va mourir, de mort naturelle » ? Chaque jour 40 000 enfants de la terre meurent de faim. 40 000 enfants de la terre, chaque jour, aujourd’hui même, à l’heure où j’écris ces mots, à l’heure où vous les lisez, le lundi, le mardi, le samedi soir pendant l’anniversaire de tata Nicole et le dimanche pendant la messe, pendant que le curé dégueule ses inepties sur les figures soumises des croyants chassieux et chaque semaine de chaque mois, même quand on est un petit peu à découvert, et tous les jours de l’année depuis des lustres, les moins-que-rien meurent de faim. Notre monde est si parfaitement organisé.

     La question est : les dirigeants qui connaissent ce chiffre ne sont-ils pas tous barzingues ? Je veux dire vraiment malades, dangereusement malades ? Au point que les peuples entiers devraient s’en débarrasser au plus vite ! Au point qu’on s’en prendrait à espérer, à croire à un sursaut qualitatif de l’esprit humain qui, soudain beaucoup moins con, disons intellectuellement plus efficace, plus lucide, atteindrait des niveaux inespérés de compétences relationnelles. C’est ce qui s’est joué sur la scène du théâtre. Nous avons rencontré le géni de la relation. Une relation simple d’égal à égal, entre des êtres normaux qui doivent partager un bout de temps commun sur la même Terre.

     Les dirigeants des pays qui soumettent les peuples à leurs diktats, connaissant ce chiffre, ne sont-ils pas tous des maniaques, des pervers, des petits roquets mal élevés ? Il faudrait les soigner, les protéger d’eux-mêmes car ils s’humilient en permanence dans l’éhonté mensonge. Cela ne doit pas être très agréable ni valorisant de constater que l’on passe sa vie à mentir aux autres et à soi-même pour une petite part du gâteau-facho. Et pour laisser quoi ? Une guerre d’indépendance ? Une pyramide ? Un musée des Arts Premiers ? Mais qui y a-t-il de raciste, tiens, là-dedans, dans ce mot de Premiers, avec une majuscule ? C’est votre culpabilité qui parle, Messieurs. Mais il est un peu tard pour honorer de la sorte, dans une pirouette sémantique, un peuple qui n’a jamais réclamé les honneurs que de toutes manières, Messieurs, vous ne lui auriez pas accordés. On s’excuse ? On offre aux ancêtres africains une décoration sous forme de musée et de vocabulaire sublime ? On redonne au berceau de l’humanité la place qui lui revient ? Cela part d’une bonne intention. Mais les fils des ancêtres que vous canonisez continuent de crever dans les mouches. Que faites vous, Monsieur le dirigeant d’une grande puissance mondiale ? Rien. Depuis si longtemps, rien. Celui qui vous précéda fit pareillement. Rien. Alors, je ne dirai pas que vous y prenez du plaisir, mais vous vous accommodez assez aisément du sang sur vos mains. N’est-ce pas ? Suis-je libre d’affirmer : Mesdames les Présidentes, Messieurs les Présidents et Ministres intègres, vous êtes des tueurs ? Non je n’ai pas le droit. Ou ce droit n’en a peut-être plus pour longtemps. Alors je ne le dis pas.

     Ce régime mondialisé que vous gérez à la perfection, semant une crise ici, une guerre là, une famine ailleurs et quelques millions de mal nourris, mal logés, mal fagotés, mal aimés dans notre belle France, ce régime est l’œuvre permanente d’une équipe de malades mentaux extrêmement nuisibles, n’est-il pas ? Je veux dire des névrosés au sens ou l’entendait Wilhelm Reich : une bande de dégénérés aux fonctions génitales défaillantes, inhibés, HS.

     Messieurs les modérés, la honte ne vous assaille-t-elle pas quand ce petit frisson irrationnel du pouvoir, cet attrait déraisonnable et destructeur pour la plus haute marche du podium de la honte, cette tentation divine, vous font partager vos dîners avec les personnages les plus ensanglantés de l’histoire du Monde ? Et une fois que vous avez obtenu ce que vous désirez depuis qu’une bonne sœur vous a interdit la branlette, après les mensonges, les trahisons, les assassinats maquillés, que faites-vous, Monsieur le dirigeant d’une grande puissance mondiale ? Rien. C’est bien cela qu’on vous reproche. Rien. Et vous connaissez le fameux chiffre. Alors ?

     Alors continuez votre révolution, chères comédiennes, continuez ! Vous en êtes au début et moi aussi. Mais ce qui importe, c’est le chemin, n’est-ce pas ? Le bonheur est dans l’action. »
 

 Vous pouvez retrouver le spectacle « Gens d’ici » les 12 et 13 juin prochains dans le cadre de la fête du théâtre de la carosserie Mesnier à Saint-Amand Montrond

 


A propos de Christine Perrichon

Les autres... Mes copains d'école... Eux, ils jouaient aux pompiers, à l'école, au docteur... Moi ? A la bibliothécaire : j'avais même fait des fiches dans mes livres pour pouvoir les prêter... Ajoutez à ça d'avoir été pendant longtemps l'une des plus jeunes lectrices de la bibliothèque d'O. Et, chaque mercredi : " Quel est ton numéro de carte ? - 2552 - Mais non, tu te trompes, tu es trop petite pour avoir ce numéro là (les enfants de mon âge avaient un numéro supérieur à 4000)" Et puis, on ne pouvait emprunter des romans que si on empruntait des documentaires... C'est comme ça que j'ai lu toutes les biographies des peintres, musiciens, sculpteurs et même aviateurs ou chercheurs... Au moins, ça me racontait la vie ! Et je me disais : " Si j'étais bibliothécaire... je laisserais les enfants choisir ce qu'ils veulent lire..." Alors, quelques années plus tard, face au grand saut dans la vie professionnelle, comme une évidence : je serai BIBLIOTHECAIRE !!! Et depuis plus de 20 ans, de bibliothèques municipales en bibliothèques départementales, mon enthousiasme est intact : - Quand les cartons de livres commandés arrivent, c'est chaque fois un peu noël... - Quand je peux échanger sur les livres ou les CD que je viens de découvrir, c'est chaque fois un moment de bonheur... - Quand les outils numériques viennent bouleverser nos pratiques, c'est la plongée excitante vers l'inconnu... Une nouvelle aventure s'ouvre maintenant ! Chermedia, notre plateforme d'échanges et de partages

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