Passé recomposé*


roger

C’est à sa fille Pascale que nous devons aujourd’hui la publication des souvenirs de Roger Cherrier décédé en 2009. Souvenirs partiels puisqu’ils couvrent la période allant de la naissance de son père en 1928 à l’année 1945.

La lecture de ce livre est aussi jubilatoire qu’instructive. Dans un style concis, écrit au présent, ces souvenirs d’enfance et de jeunesse sont incroyablement vivants. Pour ceux qui l’ont connu, et ils sont nombreux, on retrouve l’humour et la causticité qui caractérisaient si bien Roger, sa simplicité et sa franchise aussi.

Il nous donne à ressentir ce qu’était la vie dans les années 1930 à Bourges et pendant l’Occupation. La vie du quartier du Beugnon, de l’école Barbès, du lycée Alain Fournier alors place Cujas où le fils d’ouvrier communiste entrait non sans fierté mais un peu mal à l’aise. C’est l’époque où à Bourges, on est des Justices, des Big’ ou de l’Aéroport; l’époque où « La ville », c’est avant tout la rue Moyenne. Roger enfant, s’émerveille du goût des fruits, des plaisirs simples d’une vie modeste, des belles échappées à la campagne. Et puis il y a les livres qu’il dévore et qui feront de lui un homme cultivé.

Son livre à lui fait revivre tous ceux, anonymes ou connus, qui marquent le parcours du jeune garçon puis de l’adolescent. Tout ce peuple communiste, avec lequel il vibre et dont la description émouvante fait comprendre ce qui a forgé les convictions du jeune Roger. Les rassemblements à la Bourse du Travail, Place Malus, et les manifs de 36, les défilés et l’Internationale chantée dans les rues de Bourges, les soirées animées par la « Prolé ». La force du livre réside dans la justesse du point de vue. On ne trouvera pas dans ce récit de panégyrique concernant tous ceux qui parmi ses proches, et ils sont nombreux, ont connu la misère de l’Occupation, la répression, la mort.

Roger Cherrier ne cherche jamais à prendre une part de la lumière et de la gloire qui revient aux siens. Il porte sur eux le regard de la jeunesse et nous le fait partager. La grand-mère si présente, héroïne du quotidien, qui s’occupe de lui et de son frère après l’arrestation de leurs parents, les copains du parti, les figures de la Résistance venues porter un message, des tracts ou des journaux et que Roger ne fait que croiser, l’oncle Marcel et le cousin André, clandestins, dont il a peu de nouvelles. Roger raconte ses visites au camp de Royallieu à Compiègne où son père René est enfermé, celles à sa mère internée à Saint-Anne pour se soustraire à la prison. La dureté des conditions de vie durant l’Occupation avec son lot de privations matérielles et affectives, les nouvelles des arrestations ou des exécutions de camarades, sont particulièrement bien restituées. Tout comme le dégoût qu’il ressent à voir des femmes tondues à la Libération par des types sortis de nulle part et pour lesquels il n’a que mépris.

La Libération, tant attendue et pleine de promesses, sonnera pour Roger comme l’aube d’un engagement à la cause communiste à laquelle il restera fidèle toute sa vie.

*Roger Cherrier, Passé recomposé, Éditions de l’Ours blanc, 15€

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

× 7 = 14