Bon conseil aux amants
L’amour fut de tout temps un bien rude Ananké.
Si l’on ne veut pas être à la porte flanqué,
Dès qu’on aime une belle, on s’observe, on se scrute ;
On met le naturel de côté ; bête brute,
On se fait ange ; on est le nain Micromégas ;
Surtout on ne fait point chez elle de dégâts ;
On se tait, on attend, jamais on ne s’ennuie,
On trouve bon le givre et la bise et la pluie,
On n’a ni faim, ni soif, on est de droit transi ;
Un coup de dent de trop vous perd. Oyez ceci :
Un brave ogre des bois, natif de Moscovie,
Etait fort amoureux d’une fée, et l’envie
Qu’il avait d’épouser cette dame s’accrut
Au point de rendre fou ce pauvre coeur tout brut :
L’ogre, un beau jour d’hiver, peigne sa peau velue,
Se présente au palais de la fée, et salue,
Et s’annonce à l’huissier comme prince Ogrousky.
La fée avait un fils, on ne sait pas de qui.
Elle était ce jour-là sortie, et quant au mioche,
Bel enfant blond nourri de crème et de brioche,
Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso,
Il était sous la porte et jouait au cerceau.
On laissa l’ogre et lui tout seuls dans l’antichambre.
Comment passer le temps quand il neige en décembre.
Et quand on n’a personne avec qui dire un mot ?
L’ogre se mit alors à croquer le marmot.
C’est très simple. Pourtant c’est aller un peu vite,
Même lorsqu’on est ogre et qu’on est moscovite,
Que de gober ainsi les mioches du prochain.
Le bâillement d’un ogre est frère de la faim.
Quand la dame rentra, plus d’enfant. On s’informe.
La fée avise l’ogre avec sa bouche énorme.
As-tu vu, cria-t-elle, un bel enfant que j’ai ?
Le bon ogre naïf lui dit : Je l’ai mangé.
Or, c’était maladroit. Vous qui cherchez à plaire,
Jugez ce que devint l’ogre devant la mère
Furieuse qu’il eût soupé de son dauphin.
Que l’exemple vous serve ; aimez, mais soyez fin ;
Adorez votre belle, et soyez plein d’astuce ;
N’allez pas lui manger, comme cet ogre russe,
Son enfant, ou marcher sur la patte à son chien.
Ce poème de Victor Hugo est extrait du recueil intitulé « Toute la lyre« .
Vous pouvez aussi le retrouver (dans son essentialité) dans le recueil intitulé « Mes plus belles récitations », florilège de grands textes de la littérature française : poésies, chansons, fables, ou extraits de pièces de théâtre rassemblés par Michel Piquemal, pour qui : « Réciter des textes du passé n’a rien de passéiste ; c’est se sentir intégré dans une grande chaîne culturelle commune, …. »
Des textes toujours bien vivants aujourd’hui, à lire, relire, apprendre et réciter à haute voix, d’auteurs tels que Ronsard, La Fontaine, Molière, Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Verlaine, Robert Desnos, Jacques Prévert, Brassens…
Ce recueil est paru en 2011 chez Albin Michel Jeunesse . Il propose, outre un excellent choix de grands classiques intemporels, la vision personnelle donné en regard des textes (pleine page) par de grands illustrateurs d’aujourd’hui tels que Bruno Heitz, François Roca ou Merlin.
Une opportunité à saisir pour réunir avec bonheur autour de grands textes poétiques enfants et adultes, lesquels prendront sans doute un plaisir empreint de nostalgie à retrouver les récitations du temps de leur enfance.
Il existe, semble-t-il, plusieurs versions de ce poème.