Nguyen An Tinh a la quarantaine. Elle raconte qu’elle est née à Saigon dans une famille aisée. A l’arrivée des communistes à Saigon, lorsqu’elle a une dizaine d’années, sa maison est divisée en deux et la moitié devient un poste de police. Un peu plus tard, ses parents sont dépouillés de ce qu’il leur reste, et ce sera l’exil avec le départ en boatpeople, le séjour dans un camp de réfugiés plutôt insalubre en Malaisie, et enfin l’arrivée à Granby, au Canada, où la vie va vraiment recommencer pour sa famille et elle.
Elle dresse au fil des pages une galerie des portraits de ceux qu’elle a rencontrés : sa mère, sa cousine Sao Mai dans l’ombre de laquelle elle a vécu son enfance, son extravagant oncle Deux, M. Ming grâce à qui elle découvre le pouvoir de l’écriture, et bien d’autres encore…
Elle évoque aussi sa vie de femme, son retour dans un cadre professionnel au Vietnam où elle n’est plus reconnue comme vietnamienne, ses deux enfants, dont le plus jeune est autiste.
Tout cela avec beaucoup de naturel et de simplicité, sans complaisance ni pathos, sans la moindre acrimonie non plus, dans une langue et un style limpides et faciles à lire (il ne s’agit pas d’une traduction).
C’est aussi, sans en avoir l’air, une réflexion sur la guerre et la paix, le rêve américain, la facilité de certains à se détacher des biens matériels, ce qui fait l’ancrage dans un pays, ce qu’est véritablement l’amour maternel…
Dès que j’ai vu ce roman, je me suis dit que c’était exactement ce qu’il me fallait au moment où je le prenais : de petits chapitres très courts (d’une seule page pour certains), si bien que je pourrais lire sitôt que j’aurais quelques minutes devant moi et reposer facilement le livre. Mais que nenni ! Quand je l’ai commencé, je n’ai pas pu le lâcher : l’évocation d’un souvenir en entraîne toujours un autre, dans un apparent désordre (il n’y a rien de chronologique), mais en réalité de façon parfaitement construite. C’est comme lorsqu’on tire le bout d’un écheveau et que tout le fil vient à la suite…
Voici une très courte citation : « Petite, je croyais que la guerre et la paix étaient deux antonymes. Et pourtant, j’ai vécu dans la paix pendant que le Vietnam était en feu, et j’ai eu connaissance de la guerre seulement après que le Vietnam eut rangé ses armes. »
Il y en aurait des dizaines d’autres à retenir.
la phrase citée est très belle et l’article me donne vraiment envie de lire ce roman ; merci Elisabeth pour ce coup de coeur .
C’est bien ce que je veux dire.
Merci, Marie-Jeanne. Cela me fait plaisir de voir que j’ai peut-être conquis une nouvelle lectrice pour ce livre. Il me semble largement le mériter (avis personnel).
Par contre, en lisant l’afflux des autres commentaires, je me dis que la citation que j’ai livrée induit sans doute en erreur sur le contenu. Ce ne sont que quelques lignes écrites sans s’apesantir par la narratrice à propos des événements qui ont marqué son enfance. Elle nous montre plutôt que les adultes que nous sommes ont été façonnés par leur enfance, par les événements qu’ils ont vécus ou seulement traversés, par l’éducation qu’ils ont reçue, d’où ce titre de Ru peut-être ? Si sa famille et elle se sont bien sortis de leur situation d’exilés, c’est en partie parce que ses parents, dit-elle, ont toujours su regarder en avant, faire des projets. Et pour avoir son opinion sur les communistes (elle en exprime une tout de même, très nuancée), lisez donc le livre. Il est très court, mais si sobre et en même temps si dense qu’il faut à mon avis au moins deux lectures pour en tirer toute la substantifique moëlle.
Voici le lien vers une émission pour ceux qui voudraient en savoir plus sur Kim Thuy :
http://www.france5.fr/la-grande-librairie/index.php?page=article&numsite=1403&id_rubrique=1406&id_article=14777