Du domaine des Murmures, de Carole Martinez, publié chez Gallimard.
Château des Murmures, comté de Bourgogne, 1187 : Esclarmonde, quinze ans, préfère se retirer dans un couvent plutôt que d’épouser Lothaire de Montfaucon. Mais son père refuse, et Esclarmonde, le jour de son mariage, se coupe une oreille et enjoint à son père de faire construire, avec l’argent de sa dot, une chapelle avec une logette accolée dans laquelle elle sera emmurée.
Deux ans plus tard, la chapelle est construite. La messe des morts est dite pour Esclarmonde, et la jeune fille est enfermée dans sa logette. Commence alors pour elle une nouvelle vie, qu’elle pensait faite avant tout de solitude, de jeûne, de recueillement et de prière. Mais elle découvre bien vite qu’elle est beaucoup moins isolée et qu’elle a beaucoup plus de pouvoir que lorsqu’elle vivait confinée dans la chambre des dames du château. De toutes parts affluent ceux qui viennent lui confier à travers sa fenestrelle leurs soucis et lui demander conseil, et des pélerins venus parfois de fort loin, surtout après la naissance « miraculeuse » de son fils Elzéar. Par eux et grâce au réseau des recluses, elle sait ce qui se passe dans le monde de la chrétienté. Après le départ de son père et de ses frères en croisade, elle a, chaque nuit pendant son sommeil, des visions de cette expédition désastreuse menée par Frédéric Barberousse.
Sans dévoiler la fin, on peut dire qu’elle est dramatique, mais dans le droit fil de l’intrigue : la frontière entre sainteté et hérésie est si ténue, foi chrétienne et croyances païennes s’enchevêtrent si inextricablement dans ce monde médiéval qu’elle pourrait difficilement être autre.
Réalité et imaginaire se mêlent, pour le plus grand plaisir du lecteur : il s’agit là d’une aventure romanesque au possible, mais pourtant crédible, grâce en particulier à la reconstitution soignée de ce monde médiéval.
Une peinture bien documentée de la vie de l’époque, sans pédantisme aucun : juste quelques touches habilement amenées et parfaitement intégrées au récit, quelques mots d’ancien français qui ne perturbent en rien la lecture.
Une belle galerie de portraits de femmes, avec en premier lieu Esclarmonde, mais aussi Douce, sa toute jeune belle-mère, qui va peu à peu s’imposer au château, Bérengère, la servante de Douce, une sorte d’ogresse, toujours de vert vêtue et qui passe pour une sorcière, la vieille nourrice, doyenne des serves, avec son infinie sagesse… Des portraits d’hommes aussi : le père d’Esclarmonde, qui sombrera peu à peu dans la folie, son frère Benoît, si calme et sûr de ses convictions religieuses, l’archevêque Thierry II, passionné de machines de guerre, Lothaire, le fiancé éconduit qui de coureur de jupons va devenir chantre de l’amour, son frère Amey…
Une réflexion sur la place et le rôle des femmes dans cette société : elles n’ont aucune prise sur leur vie, aucun pouvoir de décision, et sont perpétuellement mineures. Ce n’est qu’en étant recluse qu’Esclarmonde échappe à ce destin. Un roman féministe, mais sans agressivité ni militantisme, parce que les hommes n’apparaissent pas davantage responsables de cet état de fait ni libres : Lothaire n’a pas choisi d’épouser Esclarmonde ; quant aux autres, ils agissent le plus souvent poussés par leur vanité ou leurs passions.
En un mot, c’est un roman prenant, qu’il m’a été bien difficile de devoir lâcher, tant j’ai été happée par l’histoire et prise au sortilège d’une langue et d’un style remarquables. J’ai maintenant hâte de découvrir le premier roman de Carole Martinez, Le Coeur cousu.
Je suis en train de le lire… Je le trouve tout aussi prenant que toi !
Quant au coeur cousu, je l’avais lu suite au stage de lecture à voix haute. L’un des exercices consistant à lire un extrait choisi d’une oeuvre, quelqu’un (je ne me souviens plus qui mais de l’extrait si !) avait choisi ce premier livre de Carole Martinez. Un beau souvenir et un livre qui me reste en mémoire avec son personnage de Frasquita, couturière d’âmes.
Ben tiens, j’en profite pour remercier la personne qui avait choisi le livre de C. Martinez !
Je vais l’acheter car j’ai beaucoup aimé « Coeur cousu » que j’ai découvert comme toi, Stéphanie, lors de notre stage. J’ai hâte de le lire …