Retour aux mots sauvages / Thierry Beinstingel
Fayard, 2010
De lui, on ne connaîtra jamais le vrai prénom… En changeant d’emploi, il est devenu Eric, téléopérateur…
« X (nom de l’entreprise, bonjour, Eric, que puis-je pour votre service ?
– Bonjour, je suis client chez vous et j’aimerais changer mon contrat
– Nous allons regarder ça ensemble, vous êtes bien monsieur/madame/mademoiselle X ? Vous habitez bien numéro/nom de rue/ville ?… »
Depuis près de 30 ans, il était électricien, sur les chantiers, à travailler, avec ses mains, dans la vie réelle… Mais crise oblige – licenciement et reconversion professionnelle – il lui faudra apprendre un nouveau métier, rencontrer de nouveaux collègues et surtout intégrer le discours formaté de l’entreprise : un nouveau langage dont il ne faut absolument pas sortir. « Il faut se mettre à la place du client » ressasse sans cesse sa collègue Maryse. A la place du client certes, mais surtout lui vendre toujours de nouveaux contrats plus profitables à l’entreprise, ne jamais le rappeler et lui donner l’impression que le service est de qualité… La pression sur les salariés ne se relâche jamais avec des objectifs toujours plus difficiles à atteindre, des « opérations spéciales » conduites par un service marketing le plus souvent en décalage avec le réel, des entretiens réguliers de recadrage « Vous n’avez pas atteint vos objectifs, vous ralentissez la progression de l’équipe.. »
Vagues de suicides dans l’entreprise : on dépasse les vingt morts… La presse s’empare de l’événement, la direction tente d’améliorer les conditions de travail – plutôt de faire croire qu’elle les améliore et qu’elle est à l’écoute des salariés : enquêtes, séminaires de remotivation , réorganisation des espaces de travail… Dans la réalité, rien ne change, la pression a plutôt tendance à s’aggraver. Les uns et les autres font face comme ils peuvent… Le plus souvent individuellement… Pas de place pour le collectif…
Alors, un jour, il craque : il rappelle un client, va même jusqu’à le rencontrer, l’aider, lui consacrer du temps. Et elle, sa femme, ne comprend pas : il s’est mis à courir – un moyen pour lui de faire le vide, d’accepter ce nouveau mode de vie – puis il s’absente – sans dire ce qu’il fait de ce temps volé à la vie quotidienne.
Comme un surf sur des thèmes à la mode, un roman qui, à aucun moment ne permet d’éprouver la moindre empathie avec les personnages : certes la vie dans l’entreprise n’est pas drôle mais est-elle si éprouvante ? Une écriture détachée, un déroulement banal, un héros évanescent, on peut, sans peine, laisser de côté ce roman de la rentrée littéraire, il y a beaucoup mieux à découvrir…
En partenariat avec Pages des libraires – crossposté sur Chroniques de la Rentrée Littéraire