La zonzon d’Alain Guyard. Le Dilettante
Sur la couverture du livre, la photographie d’une paire de mains aux phalanges tatouées, référence explicite à celles du prédicateur psychopathe (campé par Robert Mitchum) de « La nuit du chasseur » de Charles Laughton. Sur la dextre est inscrit RIEN, sur la senestre TOUT. Leur jonction semble esquisser un cœur imparfait. Ce sont (évidemment) les mains d’un philosophe. Ce sont les pognes d’Alain Guyard, auteur de « La zonzon ». Ce sont également les mains de son (anti) héros Lazare Vilain (étrange blaze évoquant la résurrection et l’absence de beauté) qui a plus d’un trait commun avec son créateur.
Lazare est un philosophe gouailleur et forain essaimant la pensée de Diogène, Spinoza, Hegel, Marx…, dans les MJC, les bistrots, salles des fêtes… partout et un peu nulle part, sauf dans les écoles.
Une rencontre « hasardeuse » :
« – La prison ça t’intéresse ? » lui demande Dominique, une employée du SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation). La nouvelle vie de Lazare commence ! Pas comme prisonnier mais en tant qu’expérimentateur pédagogique en milieu carcéral.
Ca démarre sur un mode documentaire, et lentement ça vire au polar noir, décalé, désopilant. Parce qu’il vaut mieux en rire. Parce que le style désinvolte et le vocabulaire argotique façon Dard et les dialogues à la Audiard ouvrent des fenêtres (grillagées) sur ces sombres destinées pénitentiaires, déclenchent des éclats de rire pour ébrécher la noirceur de l’inhumaine condition (carcérale).
« Les couloirs sont plein de mecs qui vont et viennent, affairés, avec des gueules incroyables, des gueules ravaudées, presque toutes marquées par le manque de soleil, de sommeil, les joues trop creuses ou trop pleines à force de cachetonner ou de prendre la fiole, les chicots jaunis par le shit et le tabac, pourris ou déchaussés à cause de l’héro, les yeux cavés, les peaux malades, hâves, blêmes, grevées, gravelées, tavelées, des barbes de prophètes, des crânes de boxeur avec des oreilles en chou-fleur, des squelettes vivants qui se déplacent en rasant les murs à la recherche d’un cacheton de Subutex, ou alors des tas de barbaque gonflée en salle de muscu, avec des épaules bombées comme un dos de requin où tu ne vois plus la nuque, ou alors des pékins difformes et cabossés sortis du Moyen Age de Villon, ventre en barrique et pattes grêles, béquillards à l’œil chassieux, au nez en pivoine, mâchoires bancroches et dépareillées, lippe pendante et mouillée, mains crochetées et gloglotantes, ou des ados explosifs, gangrenés d’acné et d’herpès, immenses, nerveux, souples, puissants, larges d’épaules et chaloupant des hanches dans les couloirs, le rire haut, les dents blanches et le corps acéré, cruel et perfide comme un couteau passé à l’aiguisoir. »
Pas de salut pour les enchristés de cette cour des miracles. Nous ne sommes pas à Lourdes, mais en PACA, aux Baumettes et dans d’autres taules moins réputées mais guère plus accueillantes.
Heureusement pour Lazare il y a les vieux amis. Hauts en couleurs ! Rocky Malteste et Momo les ex-boxeurs cabossés, toujours prêt à boire le canon au Kalinka, tenu par un canon slave : « blonde, nichonnée et pommetée comme une gravure de mode stalinienne« .
Malheureusement pour Lazare il y a les nouveaux amis, comme Riccioli, directeur sportif, bookmaker, magouilleur « affilié » au Ministère de la Jeunesse et des Sports qui va l’employer comme fourgueur d’enveloppes auprès des « intramuros ».
Et puis il y a la prof de musique du violon, la si belle et rebelle Leïla, « flamme noire et dansante sur tapis de poudre d’os ». C’est sûr ça n’annonce rien de bon.
La philosophie comme sport de combat, la boxe comme maïeutique… Riche enseignement pour les embastillés qui apprendront que le premier philosophe, Socrate était un des leurs, un taulard et que la philosophie est née en prison. Lazare Vilain suscite des réflexions, des débats sur la responsabilité, la liberté, le sexe… se rendant bientôt compte de la dichotomie entre sa pensée et ses propres agissements, s’engluant dans ses contradictions… A l’extérieur on a la liberté, mais quel usage en fait-on ? Ne sommes-nous que des taulards en sursis ? De la canaille en liberté.
Une histoire juteuse avec des personnages épicés, le tout entrelardé de vrais morceaux de philosophie, et de dialogues croustillants… Pour Lazare Vilain l’addition va être salée. Pour le lecteur c’est un banquet (comme disait l’autre).