Introduction : La découverte récente de photographies et documents d’archives inédits sur l’aéronautique antérieurs à la première guerre mondiale dans le fonds de l’abbé Moreux conservé aux Archives départementales (sous série 8J), nécessitait qu’un travail sur ce thème soit présenté. Michel Pelliot (spécialiste de l’aviation, auteur de nombreux articles dont certains sur l’aviation dans le Cher pendant la seconde guerre mondiale) et moi-même, avons le plaisir de vous livrer notre travail commun par la sélection de nombreux passages d’un article du périodique Air Magazine que vous pourrez retrouver dans son intégralité dès sa parution ( numéro 52 de mars-avril 2011).
1912, le prix de l’aéro-cible Michelin
Le prix de l’aéro-cible a vu le jour à la suite d’une lettre écrite par André et Edouard Michelin à l’intention du président de l’aéro-club de France, et vite reprise par la presse avide des « choses de l’air ».
En voici un extrait publié le 22 août 1911 : « On discute beaucoup la question de savoir si l’aéroplane militaire est un simple organe de reconnaissance, ou s’il peut devenir, à brève échéance, un engin de guerre terrible. Peut-il rendre impraticables les ponts, les nœuds de chemin de fer, couper en deux la mobilisation d’une nation, annihiler une forteresse, faire sauter un cuirassé ? (…) Peut-être faire plus encore : détruire les arsenaux, les centres d’approvisionnement, les poudrières de l’ennemi et rendre ainsi inutiles ses canons et ses fusils ? (…) Essayons donc de démontrer par des faits la puissance de l’aéroplane (…). Nous mettons à votre disposition une somme de 150 000 F (1) à distribuer en quatre prix dits : prix de l’aéro-cible Michelin ».
Dès cette lettre portée à sa connaissance, Michelin édite une série de 12 cartes postales qui illustrent ce que doit être une aviation militaire digne de ce nom pour pouvoir bombarder l’ennemi avec efficacité. Acte visionnaire pour une aviation militaire alors balbutiante.
Pour enfoncer un peu plus le clou, les frères Michelin écrivent une lettre ouverte le 6 décembre dans le journal Le Matin, en attaquant directement le gouvernement pour son manque d’action dans ce domaine.
« Quelques milliers de francs, deux cents et quelques appareils, quelques hommes, voilà tout ce qu’on nous donne pour une arme aussi indispensable, pour notre défense nationale que les fusils et les canons (…). Puisque le Gouvernement oublie ainsi son devoir, puisque aucun de nos députés n’a trouvé un mot à dire pour le lui rappeler, ne croyez-vous pas que l’opinion publique seule, consciente de la gravité de l’heure actuelle est capable d’exiger qu’on agisse ? (…). C’est pourquoi je me permets (…) de pousser le cri d’alarme, non comme fournisseur intéressé, puisque ni ma maison, ni moi, n’avons aucun intérêt dans l’aviation, mais comme un simple Français qui croit faire son devoir ».
Le journal l’Excelsior n° 323 du 4 octobre 1911 reprend lui aussi de façon plus précise les termes de ce concours. Dès le lendemain de la parution de l’article, les frères Michelin créent un prix des « viseurs » et des « distributeurs de projectiles » employés au cours des épreuves pour le réglage ou l’exécution du tir. Ces concours doivent être terminées pour le premier le 15 août 1912 et le second le 15 août 1913.
La premier consiste à lancer d’une hauteur minimale de 200 mètres 15 projectiles de même poids et de même volume que les obus sphériques réglementaires (soit un diamètre de 16 cm et d’un poids de 7 kg ), et ce, en un seul et même passage. L’ensemble de ces largages devant tomber dans une cible circulaire de 20 mètres de diamètre.
Une somme de 50 000 F sera attribuée au vainqueur de l’épreuve. « Si deux concurrents placent dans la cible le même nombre de projectiles, le gagnant sera celui pour lequel la somme des écarts de ses coups, par rapport au centre, sera la plus faible » nous explique André Michelin. Le second prix doté lui de 25 000 F, consiste à placer un projectile d’une hauteur minimum de 800 mètres dans une cible rectangulaire de 120 mètres de long sur 40 mètres de large représentant la surface d’un hangar à dirigeable. En effet, l’exploit que représente un coup au but sur un dirigeable virtuel de type zeppelin, fait sensation.
Enfin, le règlement accorde une durée de 45 minutes pour chaque essai et l’aviateur doit atterrir dans les 10 minutes après le lancement de ses derniers projectiles. Chaque équipage embarque à son bord un baromètre pour contrôler la hauteur obligatoire de 200 mètres.
Au début du concours, plusieurs équipages sont sur les rangs et la lutte est féroce…
(retrouvez les récits épiques du concours ainsi que tous les détails techniques dans Air Magazine n°52 mars-avril 2011)
( L’abbé Moreux astronome et scientifique de Bourges réputé, sera même consulté par le lieutenant G-B Georgiadis, aviateur grec au sujet d’une étude sur la solution géométrique du problème de Délos(2), pour la mise au point d’un système de lanceur destiné au concours de l’aéro-cible. Ce projet ne dépassera pas l’état du dessin, mais cela va permettre à l’abbé Moreux de suivre de très près ce concours et l’aviation en général. )
… Le grand vainqueur est finalement l’équipage du biplan Astra Wright piloté par Louis Gaubert (3) et le lieutenant Riley Scott de l’artillerie US. Le Lieutenant Scott a réussi à placer 12 projectiles sur 15 dans la cible lors de la première épreuve. Ils remportent également la seconde avec 8 projectiles sur 15 placés dans la cible.
Maintenant que le bombardement aérien est devenu une réalité, il faut convaincre, car l’armée française est encore loin de posséder des escadrilles organisées et équipées et puis surtout, elle ne dispose pas d’appareil adapté à cette mission. Néanmoins, cela n’empêche pas les frères Michelin de faire la promotion de l’aviation en général, et surtout de l’aviation de bombardement en particulier.
L’avenir va leur donner raison, et ce, de façon prémonitoire…
Fort heureusement, dès le 11 février 1912 après une réunion à la Sorbonne de l’association générale aéronautique, les Frères Michelin avaient déjà provoqué la création du comité national d’aviation militaire.
Suite à cela : «une propagande ardente est organisée. Des fonds sont collectés : au cours des deux années qui suivent, quatre millions de francs or seront réunis. André Michelin refuse de laisser distraire un seul centime de cette somme pour un autre but que le but, et il prend à sa charge tous les frais d’administration du Comité (dont il est le trésorier). Ces quatre millions recueillis seront solennellement remis au ministère de la Guerre, le 22 janvier 1914. Ils serviront à créer et à équiper 70 terrains d’atterrissage et à construire 120 avions achetés par le Comité et mis à la disposition de l’état-major. C’est exactement ce dont disposera l’armée française, soit 120 appareils de 14 marques différentes, lorsque, six mois plus tard éclatera la guerre.
En 1915, l’aéronautique a été séparée de la direction du génie et forme au Ministère de la Guerre, une direction propre, une véritable 5e arme. Le personnel comprend 7 compagnies, 10 sections d’aéronautique et une compagnie de conducteurs pour un effectif total de 3400 hommes. La flotte aérienne atteint alors 24 dirigeables et 749 aéroplanes.
M. Pelliot et YannB
Magnifique article.Vous avez bouché un trou dans mon ignorance. Ceux qui ont fait l’aviation n’ont pas toujours été ceux qu’on pense:
Lire EMMANUEL CHADEAU « L’industrie aéronautique en France 1900-1950 » (Fayard) et aussi mes 10000cerf-volants de Gabriel VOISIN.
J’ignorais que Michelin s’intéressait à lavion. Voir aussi l’impressionnante documentation de la revue ICARE sur les ZEPPELIN (ainsi que les numéros d’époque de l’ILLUSTRATION. Nous aurons tant à échanger pour parfaire notre mémoire collecive, à commencer par le pétrolier qui avait poussé à créer l’aviation afin d’y vendre du carburant.
Magnifique révélation pour moi. Michelin, à présent, après Zeppelin dont je suis fana.
Sur les débuts de l’aviation en France, ne manquez ni « L’industrie a&ronautique en France 1900-1950 » du regretté Emmanuel CHADEAU (Fayard 1987)ni « mes cent mille cerfs volants » de Grabriel VOISIN.
Et il me tarde de retrouver le nom du « pétrolier » américain qui avait encouragé l’aviation … pour lui vendre du carburant.
Restons en contact. Vive les archives du CHER. amicalement. cs