« Tout à l’heure, quand nous discutions… enfin, on ne peut pas appeler ça discuter, nous étions du même avis… enfin vous et moi… mais elle…elle était là quand nous parlions, elle écoutait. » (H2 à H1 in Elle est là)
C‘est l’histoire d’une obsession, ou comment un individu est obsédé par une idée qui se niche dans la tête d’un autre. L’intrigue – la portion volontairement chiche du théâtre de Sarraute – est bien sûr quasi inexistante : H2 ne souffre pas l’idée que F puisse penser différemment de lui sur un point précis. Il en fait part à H1 et profite de l’arrivée, pour le moins inopinée, de H3 pour demander à F de s’expliquer.
Ce premier texte dramatique de Nathalie Sarraute, c’est-à-dire réellement écrit pour la scène, confirme ce que l’on ressent à toute lecture de son théâtre, une jubilation produite par la férocité de ses personnages (?). Pas de psychologie chez eux ni de personnalité clairement établie. Proposer sur l’espace de jeu, des êtres qui nous « réfléchissent », qui nous renvoient notre propre image et celle de nos prédialogues.
H1, H2, H3 et F invitent le public à participer au règlement de comptes.
La question qui reste centrale lorsqu’on s’attaque à l’oeuvre dramatique de Nathalie Sarraute : comment mettre en scène cette contradiction, cette impossibilité ? Celle de faire théâtre de ce qui demeure rebelle à la parole, le tropisme. Comment aller sur le terrain du dialogue extérieur ou visible qu’est le théâtre, sans se cantonner à ce dernier ou sans le priver du prédialogue ?
Le jeu ne souffre, d’après moi, aucune posture intellectuelle, la direction d’acteurs veut clouer le bec au lieu commun dont est victime Sarraute. Ça peut paraître intello à lire ses Ère du soupçon, Portrait d’un inconnu et Martereau, mais à « jouer» et à scruter les vilains points noirs sur le beau visage de la relation humaine, c’est jubilatoire.
J’ai déjà mis en scène, par deux fois, un texte de Nathalie Sarraute, Pour un Oui ou pour un Non, (dans les années 1990 et en Guyane en 2014). J’ai eu la chance de la rencontrer en 1995 ; elle ne réservait jamais les droits sur ses textes, elle demandait seulement de respecter la distribution « en genre et en nombre ».
Stéphane Godefroy
Elle est là
De Nathalie Sarraute
(édition Gallimard)
mise en scène :
Stéphane Godefroy
assisté de Chloé Bourgois
avec par ordre de prise de parole
H1 : Olivier Chardin
H2 : Stéphane Godefroy
F : Chloé Bourgois
H3 : Denis Benoliel
lumière : Louise Gibaud
son : Valentin Cornair
fabrication décor : Valentin Cornair et Maurice Cornair Daniel Pereira
réalisation teasers : Philippe Labonne
visuel : Laïs Godefroy