A la croisée du Blues et de la BD 2


Le jazz et son riche imaginaire, ses personnalités fortes, son décorum enfumé, ses tragédies noires ou ses réussites lumineuses (et vice versa) ont souvent inspiré les auteurs de bandes dessinées. Le blues dont l’univers n’a pourtant rien à envier à son cousin le jazz n’a pas provoqué la même passion créatrice. Voici donc une bibliographie succincte mais exhaustive ( ?) des rapprochements entre la BD et le blues.

Mr-NostalgiaMister Nostalgia / Robert Crumb. – Cornélius, 2007

Robert Crumb eut longtemps l’image du hippie priapique, croqueur de géantes callipyges. C’était avant que les éditions Cornélius ne se mêlent de rééditer thématiquement son œuvre foisonnante. On découvre dans Mister Nostalgia un auteur fasciné par les années 20 et les bluesmen oubliés. Dans les 15 histoires composant ce recueil, on s’attardera particulièrement sur Patton. Pas le général ! Non : Charley Patton, chanteur de blues mythique à la vie hasardeuse et à la mort précoce. « … un bon à rien qui vivait au crochet des femmes et passait le plus clair de son temps dans une totale oisiveté. … Un grand interprète dont on sent encore aujourd’hui l’influence sur le blues et le rock. La musique qu’il chantait et jouait est impossible à décrire. Il faut l’écouter ».

 


Bayou-JoeyBayou Joey / Jean-Christophe Chauzy & Matz. – Futuropolis, 1990

Un vieux noir et des embrouilles. Un classique. Trait souple et rond comme un nœud coulant, encre noire comme la peau. Le fond est plus blues que black. Jean-Christophe Chauzy à ses débuts, Futuropolis de même. Le second, tel le phénix renaîtra, au troisième millénaire, le premier sera toujours un activiste social et musical via  « La guitare de Bo Diddley »  ou  » Sonny Boy Williamson » (chez Nocturne, coll. BD Blues). Parfois plus rock que blues. Mais avec Bayou Joey y’a pas photo… c’est du moite, du tordu, du désespéré, de l’assoiffé et du sexué… C’est du blues !

 

OBoys-1O’ Boys / Steve Cuzor, Philippe Thirault & Stéphane Colman. – Dargaud, 2009-2012 (3 tomes)OBoys-2

Transposition dans les années 30 du Huckleberry Finn de Mark Twain, cette trilogie nous fait voyager dans l’Amérique de la Grande Dépression sur la trace des hobos, saisonniers, vagabonds, musiciens, crève-la-faim et autres traîne-savates. Errance nimbée de fantastique d’un garçon de 12 ans et d’un bluesman noir, ce périple est aussi une plongée dans l’histoire (violente) des USA. Steve Cuzor, le dessinateur, est un amoureux des USA de la première moitié du vingtième siècle. Il l’a déjà mise en images avec « Blackjack » (au temps de la prohibition) et avec « Leadbelly« , biographie du bluesman géant, parue dans la collection BD Blues chez Nocturne.

 

Reve-de-Meteor-SlimLe rêve de Meteor Slim / Franz Duchazeau. – Ed. Sarbacane , 2008

Sous un format atypique, carré comme la pochette de nos antiques vinyles, cette bande dessinée de 160 pages aborde la naissance du blues en nous contant la vie d’un vrai-faux musicien,  Edward Ray Cochran. En 1935 dans le Mississipi, il abandonne travail, femme et enfant (à naître) pour tracer la route. Son rêve, son ambition, c’est la musique, le blues… Dans des rades qui sentent la sueur, la fumée et la ségrégation, il croisera quelques figures authentiques de l’époque. Mais son parcours sera plus black que blues. Avec un graphisme minimaliste et expressionniste, des planches sombres et souvent vides, parsemées (lacérées serait plus juste) de quelques détails, Franz Duchazeau nous plonge dans l’émotion la plus brute. La force de ses images est de faire naître la musique.

 

LomaxLomax, collecteurs de folk song / Frantz Duchazeau. – Dargaud, 2012

En 1910, le musicologue John Lomax prend la route des États de l’Ouest afin d’enregistrer les chansons des derniers cowboys. Vingt ans plus tard, missionné par la Bibliothèque du Congrès et accompagné de son fils Alan, il repart, direction le Sud pour collecter les chants de la population noire. Il sauvera ainsi de l’oubli des blues déchirants à la beauté surannée. Duchazeau s’empare de cette histoire, l’habille d’anecdotes, de douleur, de rage et lui redonne vie par la magie de son trait souple et de son encre noire et profonde comme le désespoir de ces gens en but à la ségrégation, ces noirs emprisonnés, exploités, humiliés, violentés… homicidés… Et pour le jeune Alan Lomax, le road-trip musical deviendra voyage initiatique.

 

 

Me-and-the-devil-blues-1Me and the Devil Blues / Akira Hiramoto. – Kana, 2008 (4 tomes)Me-and-the-devil-blues-4

« Si de nuit tu te trouves à la croisée des chemins et que tu joues un morceau de guitare, peu importe lequel, tu entendras une voix dans ton dos, un homme grand et noir te prendra ta guitare, en jouera et te la rendra ensuite ; tu seras alors devenu un musicien hors pair mais tu t’apercevras que le grand homme noir est reparti avec ton âme en échange de ce talent. »

Telle est la légende liée au bluesman Robert Johnson (1911-1938), guitariste si doué qu’il avait assurément pactisé avec le diable. Uniquement 29 chansons enregistrées (+ 13 prises alternatives) dont : « Sweet home Chicago« , « Crossroads« … et puis la mort à 27 ans. Après avoir été la source d’inspiration de nombre de bluesmen puis de rockers, Robert Johnson, alias RL est devenu le héros faustien de ce manga au graphisme somptueux. Le titre de cette biographie fantasmée à la documentation cependant scrupuleuse, fait référence à un des titres de cet énigmatique musicien.

 

ConquistadorConquistador / Yves Leclercq & Georges Van Linthout.- Casterman, 2005Mojo

Bluesman renommé, Bud Leroy est en tournée à Paris. Fatigué, malade il doit raccrocher sa Gibson Flying V juste après cette série de concerts et rentrer au pays, ce Sud des USA qu’il n’a pas revu depuis son enfance, il y a maintenant 60 ans. Mélancolique, il replonge dans son passé, une vie en noir et blues pas vraiment rose.

Mojo / Rodolphe & Georges van Linthout. – Vents d’Ouest, 2011 (Coll. Intégra)

Slim Whitehouse pense qu’il a un destin, une chance, le mojo, quoi. Il fuit le Mississippi avec sa guitare et le fantôme de son meilleur ami en direction du Nord, de Chicago, ville de tous les possibles y compris pour un noir. Le dessinateur G. van Linthout rehausse son trait semi réaliste de lavis gris, noyant ses cases dans la mélancolie. Il s’était déjà confronté au blues avec « Conquistador »  et surtout avec « T. Bone Walker« , livre-BD-disque paru chez Nocturne dans la collection BD Blues (2007)

 

HeritierL’héritier (suivi de Blues) / Sergio Toppi. – Mosquito, 2007

Sergio Toppi, auteur italien récemment disparu était un sorcier du dessin. Son trait ne s’apparente à rien de connu dans la bande dessinée, sa narration très elliptique non plus. Toppi est un graveur halluciné. Dans cet album, deux histoires ayant comme dénominateur le blues et le fantastique, thèmes forcément consanguins. Les années quarante, des voyous, des armes ; mais aussi la fin du 19e siècle, des imprécations vaudous, le tout sur fond de blues funèbre et de destinées macabres.

Bluesman

 

Bluesman / Rob Vollmar & Pablo Callejo. – Akileos, 2004-2006 (3 tomes)

En 12 chapitres (comme les 12 mesures du blues), les auteurs nous invitent à suivre les bluesmen Lem Taylor et « Ironwood » Malcott au long de leur pérégrination dans l’Arkansas rural de la fin des années 20. En se produisant dans un « juke joint » (un beuglant borgne), leur destin va prendre une tournure inattendue… Pauvreté endémique, racisme affiché, violence suintante, injustice omniprésente sont tempérés par la bonhomie des personnages et la truculence des situations. Le graphisme en noir et blanc (et surtout en noir) de Pablo Garcia Callejo très expressif  bien que succinct ne fait que renforcer l’ambiance miséreuse du récit pétri d’humanité de l’américain Rob Vollmar. Ce diamant noir est serti par la jeune maison d’édition Akileos, installée à Talence, spécialisée dans les adaptations de comics indépendants ou de BD allemandes.

 

HarmonijkaHarmonijka : a backstage story / Greg Zlap, Philippe Charlot & Miras. – Glénat, 2012

Gregorz Szlapczynski, jeune harmoniciste de renom a raconté sa vie au scénariste Philippe Charlot. L’illustrateur Miroslav Urbaniak l’a mis en images, en accomplissant un travail remarquable sur les couleurs.
14 juillet 2009, Greg Zlap a le trac, il doit monter sur scène avec Johnny Halliday, devant 1 million de spectateurs. Il se remémore alors sa vie : son enfance en Pologne, ses cours de piano, sa découverte, déterminante de l’harmonica. Arrivé en France à 17 ans avec sa mère, il fait alors la rencontre, décisive du bluesman Jean-Jacques Milteau. Désormais, sa vie sera consacrée au blues. Cette BD, hommage à l’harmonica ainsi qu’à quelques personnalités de l’histoire du blues est accompagnée d’un CD 2 titres.

 

And last but not least, comme ils disent là-bas, n’oublions pas l’excellente collection BD Blues chez l’éditeur BD Music (ex éditions Nocturne). On y rencontre des illustrateurs renommés (René Hausman, Nicollet, Olivier Wozniak, Crumb…) mais aussi quelques débutants. Les bluesmen sont eux des pointures, même si parfois obscures (Menphis Minnie, Big Bill Broonzie, T. Bone Walker, Blind Lemon Jefferson…).
Ont déjà été publiées une douzaine de titres sous une belle présentation en format oblong comportant une bande dessinée (biographique, humoristique ou … anecdotique) d’une vingtaine de pages, suivie d’une discographie et de la biographie de l’artiste concerné (en version bilingue, français/anglais) . L’objet livre est accompagné de deux CD compilant des titres, principalement libres de droit.

.Big-Bill-Broonzy .Lead-Belly .Muddy-Waters .Menphis-Minnie . Chrismas-Blues


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2 commentaires sur “A la croisée du Blues et de la BD

  • Béatrice

    J’ai lu Harmonijka récemment.C’était très sympa de découvrir que les passions partent de pas grand chose parfois … Un cadeau, une découverte ou une rencontre peuvent faire basculer une vie. Et qu’il y a des virtuoses dans tous les instruments, même les plus petits … Comme quoi la BD, ça cultive !!