« Les mondes perdus » – Des textes à découvrir


arbreDu 18 novembre 2011 au 14 janvier 2012, la médiathèque de Bourges organisait un concours de nouvelles ouvert à tous. Le 31 mars, étaient dévoilés les lauréats qui ont accepté que leur texte soit publié ici. Merci à eux de nous permettre de les découvrir !

Voici le 1er prix dans la catégorie  des moins de 12 ans

L’enfant et l’arbre-courrier
Jules VERIN

Dans une petite maison, très haut dans les Alpes, vivait Gabriel. Il vivait avec son oncle qui le laissait souvent seul pour aller travailler. A douze ans, il était plutôt grand et costaud. Bien qu’il lût extrêmement bien, il n’aimait pas les livres et passait son temps à se balader dans la montagne qu’il connaissait par cœur. Ses parents étaient morts d’une mauvaise chute d’un glacier. Gabriel s’ennuyait. Il avait soulevé toutes les pierres, monté tous les sentiers, exploré toutes les forêts, il connaissait la montagne comme sa poche et aurait tant voulu partir à la conquête de nouveaux horizons ! D’autres plaines, d’autres montagnes. La mer peut-être !

Un jour qu’il méditait sur la question, il vit un homme. Très vieux, l’homme portait une longue barbe qui lui descendait jusqu’à la taille. Gabriel sentit son regard pénétrer dans son être. Pris d’un malaise soudain, il respira un grand coup. Les yeux de l’homme scintillèrent puis s’éteignirent. Il prit alors la parole :
« Tu voudrais découvrir d’autres horizons ? Mmm. C’est qu’il faut s’y préparer.
Ah ! Bon ! Euh…, vous, euh, lisez dans mes pensées, balbutia Gabriel.
Ah ! Non ! Je devine ! Je devine. »
L’autre savait qu’il mentait. Bien sûr.
« J’pourrais bien faire quelque chose pour te soulager, mais pour cela, il faudrait que tu te prépares, reprit le vieil homme.
Ah oui et comment ?
En lisant, en lisant »
Il sortit de son sac un impressionnant paquet de livres et lui dit : « Reviens ici quand tu auras fini ». Et il disparut.

Gabriel fit la grimace, il n’aimait pas les livres. Mais il était si curieux et avait si soif d’aventures qu’il se dit que ce ne serait pas si terrible de lire et qu’il terminerait vite. Il rentra donc chez lui et se mit à lire. Il lut pendant des heures en pensant à ce qui l’attendait quand il aurait fini. Au début, ce fut à contrecœur qu’il se plongeait dans les innombrables pages couvertes d’encre. Mais petit à petit, il s’y habitua, tant et si bien que ce devint un plaisir pour lui.

Quand le grand jour arriva enfin, ce fut presque avec dépit que Gabriel quitta son chalet. Au moment d’arriver à l’endroit où il avait, quelques mois plus tôt, rencontré le vieil homme, il aperçut ce dernier. Il était là, assis sur une pierre, dans la même, exactement la même position, et il le regardait.

Sans dire un mot, il se leva et jeta un sac aux pieds de Gabriel, puis disparut.
Le jeune homme prit le sac et l’emporta chez lui. Il s’enferma dans sa chambre à double tour et ouvrit la lettre qu’il avait trouvée dans le sac. Elle était rédigée d’une écriture soignée et tenait ses propos :
« Je te salue. Plante les graines contenues dans le sac dans un endroit sûr et attends que l’arbre pousse. Une fois qu’il sera suffisamment grand, monte en haut et coupe à la cime la plus haute fleur, écrase-la ensuite entre les pages d’un livre. Rouvre-le. Adieu.
PS : N’attends pas trop longtemps ou ne sois pas trop impatient pour monter en haut, sinon quoi tout sera perdu.
PPS : Détruis cette lettre après l’avoir lue ».

Gabriel déchira le message et le mâcha en réfléchissant à l’endroit où il pourrait cacher son arbre. Cela ne serait pas difficile. La connaissance de la montagne lui avait depuis longtemps fourni des secrets dont il était le seul dépositaire. Il connaissait d’innombrables endroits qu’il repassa en vue en se demandant lequel serait le plus idéal pour son « secret ». Après des heures de réflexion, il admit que le seul véritablement parfait était un lopin de terre pratiquement inaccessible, se situant entre trois pics et entourés de rochers. Il fallait creuser une dizaine de mètres de terre fertile avant de retrouver le roc dur et sec de la montagne.

Le lendemain matin, il sortit discrètement de sa maison et se mit en marche. Il arriva une demi-heure plus tard. Il sortit de son sac, sa pelle, sa pioche et se mit au travail : creusa un petit trou qu’il reboucha sitôt après avoir mis les graines, prit de l’eau à la source et arrosa le tout. Satisfait, Gabriel rentra chez lui, s’assit à table, déjeuna pour se donner des forces. Quand il eut le ventre plein, il décida de retourner s’occuper de sa plante clandestine, et là… Une surprise de taille l’attendait. Devant lui, se dressait une pousse d’arbre de presque un mètre, qui lui arrivait à la taille.

Stupéfait, il réfléchit et se dit que cet arbre n’était pas un arbre ordinaire. Il devrait donc, en une semaine, atteindre la taille d’un bois suffisamment solide pour qu’un adolescent comme Gabriel puisse y monter.

Cette nuit-là ne fut pas une nuit calme et de sommeil profond. Gabriel rêva qu’entre les branches d’un arbre, il tombait dans un tourbillon de lumière. Il se réveilla en sursaut, s’habilla, grignota et partit voir comment se portait son arbre. Comme il s’y attendait, sa taille avait doublé.

Au bout de quelques jours, il était assez grand pour que Gabriel y monte. Suivant les instructions de la lettre, il coupa la plus haute fleur, prit un livre et l’écrasa entre les pages et… Il fit le geste de rouvrir le livre mais se dit soudain qu’il ne reverrait peut-être jamais les montagnes et tout ce qu’il voyait là, autour de lui. Tout à coup, le livre lui tomba des mains et s’ouvrit en deux sur le sol. Gabriel sentit en lui la même émotion que dans son rêve, fut happé par un tourbillon de lumière et tomba dans le vide. Lorsqu’il se réveilla, il était seul dans une sorte de forêt dont les arbres ressemblaient étrangement à celui qu’il avait fait pousser dans « l’autre monde ».

Il se releva, regarda autour de lui et grimpa dans un arbre. De son point de vue élevé, il pouvait observer tout le paysage alentour. La forêt s’étendait très loin devant lui. Par contre, de l’autre côté, on pouvait apercevoir la lisière d’où montaient d’épaisses fumées. Gabriel était prévoyant et il n’avait pas oublié d’emmener un sac à dos avec tous les outils nécessaires : jumelles, boussole, corde… Il descendit de l’arbre et se mit en marche vers la lisière de la forêt. Quand il y arriva, il vit des hommes qui s’activaient autour d’un champ. Quand les paysans l’aperçurent, ils lui firent de grands signes comme pour lui dire : « Va-t-en ! Pars d’ici ». Gabriel se demanda pourquoi ils paraissaient si hostiles. Soudain, un homme hurla : « Attention, ils arrivent : les voilà ! »

Ils s’enfuirent tous vers le village. Le jeune homme fit volte-face et se retrouva nez à nez avec une troupe d’hommes squelettiques et déformés. Que se passait-il donc dans ce pays maudit ?
Les monstres semblaient avoir à leur tête un monstre plus grand que les autres qui cria d’un air mauvais : « Tue ! Tue ! Tue-le ! »

Gabriel eut juste le temps d’esquiver une flèche et de courir vers la forêt.
Les hommes-zombis poussèrent un cri de rage, saisirent une torche, la lancèrent sur le champ et partirent à toute vitesse laissant le champ brûler comme de l’amadou.
Gabriel avait suivi la scène avec rage et épouvante. Il décida d’aller demander au village quels étaient ces affreux destructeurs d’homme. Quand il passa les portes, tous les villageois accoururent pour lui offrir à manger. Une fois rassasié, il demanda à voir le chef du village. On le conduisit dans une hutte plus grande que les autres. Il y entra et vit un homme assis près d’un feu. Saisi soudain d’étonnement, Gabriel s’aperçut qu’il ressemblait, si ce n’était pas lui, à l’homme qui l’avait fait passer dans ce monde perdu. Le frère jumeau prit la parole :
« A te voir me regarder comme ça, on dirait que tu connais mon frère !
Euh, mais c’est exact.
Et un de plus. Il ne sait pas ce qu’il fait, il en envoie toujours. Il croit que c’est toujours pareil ici ; malheureusement non !
Qu’est-ce-qui se passe, et d’où viennent ces affreux hommes-squelettes ? »

Le vieil homme répondit :
« Ce sont les hommes de Miuhfky. Il vit par delà la forêt d’arbres-courriers, dans un immense et sinistre château. Il a juré d’écraser les peuplades de cette terre et, pour cela, il nous affame en brûlant les champs et les récoltes sans se fatiguer. Nous sommes trop faibles et trop pauvres pour combattre.
Mais n’existe-t-il pas un puissant seigneur qui pourrait vous protéger ? Dans les romans fantastiques, c’est toujours comme ça et je suppose que votre frère ne me les a pas fait lire pour rien.
Bien sûr, il y a le grand Fougjiii, mais il y longtemps qu’il s’est replié dans les montagnes. Pour l’instant, son seul but est de survivre lui-même aux attaques de Miuhfky, il n’organisera aucune révolte. Toutes nos demandes ont été vaines ».

Gabriel sentit naître en lui une amitié et une admiration considérables pour ce peuple qui, affamé et terrorisé, ne perdait pas courage et continuait à résister. Il s’écria : « Mais il faut le convaincre ! Je vais partir là-haut et je le déciderai. Pourrez-vous me donner un guide et quelques hommes ? ».

L’homme se leva, fit un pas, et répondit : « J’essaierai, mais je ne te promets rien. En attendant, va te reposer, nous aviserons demain ».

Gabriel s’aperçut alors qu’à force de palabres, le soleil était couché et qu’il tombait de sommeil. On lui indiqua donc une couche sur le sol. Il s’allongea et s’endormit presque instantanément. Le lendemain, il se leva en bâillant. Il ouvrit les yeux, il vit avec stupéfaction qu’il se trouvait dans la chambre de son chalet. Il éclata alors de rire en comprenant que tout n’était qu’un rêve. Mais pour en être certain, il partit voir son arbre et quand il arriva, une surprise de taille l’attendait : l’arbre était bien aussi grand que dans son rêve, mais il y fleurissait des livres.


A propos de Christine Perrichon

Les autres... Mes copains d'école... Eux, ils jouaient aux pompiers, à l'école, au docteur... Moi ? A la bibliothécaire : j'avais même fait des fiches dans mes livres pour pouvoir les prêter... Ajoutez à ça d'avoir été pendant longtemps l'une des plus jeunes lectrices de la bibliothèque d'O. Et, chaque mercredi : " Quel est ton numéro de carte ? - 2552 - Mais non, tu te trompes, tu es trop petite pour avoir ce numéro là (les enfants de mon âge avaient un numéro supérieur à 4000)" Et puis, on ne pouvait emprunter des romans que si on empruntait des documentaires... C'est comme ça que j'ai lu toutes les biographies des peintres, musiciens, sculpteurs et même aviateurs ou chercheurs... Au moins, ça me racontait la vie ! Et je me disais : " Si j'étais bibliothécaire... je laisserais les enfants choisir ce qu'ils veulent lire..." Alors, quelques années plus tard, face au grand saut dans la vie professionnelle, comme une évidence : je serai BIBLIOTHECAIRE !!! Et depuis plus de 20 ans, de bibliothèques municipales en bibliothèques départementales, mon enthousiasme est intact : - Quand les cartons de livres commandés arrivent, c'est chaque fois un peu noël... - Quand je peux échanger sur les livres ou les CD que je viens de découvrir, c'est chaque fois un moment de bonheur... - Quand les outils numériques viennent bouleverser nos pratiques, c'est la plongée excitante vers l'inconnu... Une nouvelle aventure s'ouvre maintenant ! Chermedia, notre plateforme d'échanges et de partages

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

94 − 86 =